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VINCY THOMAS, Interview

Pour son livre CE QUE LE MONDE DOIT AUX LGBTQ+ 

1- J.D. Vincy Thomas, bonjour et bienvenue sur Clicinfospectacles.fr, tout d’abord pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

V.T. Bonjour. Je suis franco-canadien. J’ai créé des sites internet au début des années 1990 à Montréal, notamment EcranNoir.fr qui existe toujours. Et sinon je suis journaliste depuis plus de vingt ans. Je viens de publier mon premier livre, Ce que la France doit aux LGBTQ+, un essai historique.

2- J.D. Aux éditions Hugo Doc, vous venez de publier « ce que le monde doit aux LGBTQ+ », qu’est qui vous a intéressé ?

V.T. Quand mon éditeur m’a proposé ce livre, j’y ai vu l’occasion de montrer que les LGBTQ+ avaient été essentiels dans l’Histoire, et pas seulement en Occident. L’homosexualité, la bisexualité, la transexualité ont toujours existé, dans toutes les cultures.

Ces dernières années, des autrices et auteurs comme Titiou Lecoq avec Les grandes oubliées, Yasmina Jaafar avec Ils ont choisi la France ou Binkady-Emmanuel Hié, Léo Kloeckner et Aurélia Durand avec Visibles!, ont permis de réhabiliter des personnalités écartées des manuels scolaires et des grands récits historiques : les femmes, les immigrés, les noirs… J’aurai pu écrire Ce que la France doit aux LGBTQ+. Mais je souhaitais vraiment aller plus loin, surtout dans le contexte idéologique actuel. Il était facilement possible de démontrer que sans elles et sans eux notre monde actuel, que ce soit en géopolitique, en psychologie, en sciences, en culture ou en économie, serait différent. Leur apport a même souvent été essentiel.

3- J.D. Vous brossez le portrait de 30 personnalités de l’Antiquité à l’Ere Contemporaine, comment avez-vous fait le choix ?

V.T. Au départ, il y avait une liste d’une centaine de personnalités, y compris des militants célèbres, des créateurs de mode, des cinéastes, des pop stars, des politiques contemporains. Le titre du livre, et donc sa philosophie, a permis de restreindre la sélection uniquement à des LGBTQ+ ayant eu un impact dans l’Histoire, dans leur pays ou dans leur domaine. Après, c’est comme une sélection de festival au cinéma : un jeu d’équilibre entre les sexes, les sexualités, les époques, les métiers, les continents, avec un mix de « stars » et d’inconnus. Je voulais absolument que le livre ne soit pas centré sur l’occident. C’était d’ailleurs une contrainte : de nombreuses civilisations étaient orales ou leur Histoire a été dévastée par les guerres et les colonisations. C’est l’aspect le plus frustrant : ne pas avoir assez d’informations, d’archives pour écrire un bon portrait.

4- J.D. Qu’est qui a été le plus difficile ?

V.T. Le plus dur est sans doute la vérification des informations et des sources. Généralement, la sexualité n’a pas été un centre d’intérêt pour les historiens jusqu’au XXIe siècle. On a même nié les aventures homosexuelles de certains et certaines pendant des siècles, à l’instar de Richard Cœur de Lion. Et c’est encore le cas. Certains, sans arguments autres que leur point de vue idéologique, refusent de considérer Rosa Bonheur comme homosexuelle ou même homoamoureuse. On constate qu’il y a encore un malaise à changer le regard sur des icônes.

5- J.D. Était-ce plus simple de se dire LGBTQ+ dans l’Antiquité ou le Moyen Age que maintenant dans certains pays ?

V.T. En fait, on ne se disait pas LGBTQ+. Le mot homosexuel n’a été inventé que la fin du XIXe siècle, celui de travesti au début du XXe siècle. On pensait donc les sexualités différemment, la fluidité sexuelle aussi. Dans certaines cultures, on parle de troisième sexe, sans que cela ne pose de problèmes. Chez les peuples méditerranéens de l’Antiquité, on pouvait être homosexuel mais à certaines conditions très codifiées. Chez les Japonais, l’homosexualité était tolérée chez les artistes de théâtre et les Samouraïs.  Hélas, une grande partie de cette diversité a été détruite par la montée des religions monothéistes et sa propagation avec la colonisation. En Europe, les LGBTQ+, dès la fin de l’Antiquité, deviennent des mécréants à condamner. Evidemment tout cela est hypocrite. Si vous étiez puissant ou protégé par les puissants, il était possible d’échapper aux sanctions et de vivre sa sexualité. Mais il faut quand même attendre la fin du XXe siècle pour que les LGBTQ+ obtiennent des droits égalitaires, et encore, seulement dans quelques dizaines de pays.

6- J.D. Peut-on dire que l’apport de la communauté LGBTQ+ au monde est étroitement lié à leur reconnaissance ?

V.T. Pas toujours. Même si beaucoup ignore sa vie, Leonard de Vinci a l’image d’un génie, universellement connu. De même peu importe que Virginia Woolf soit bisexuelle ou Alan Turing gay : on sait ce qu’on leur doit, que ce soit dans le féminisme ou l’informatique. À l’inverse, le lecteur apprend que les aventures des légendaires Moomins, l’Allemagne comme puissance européenne, le principe de l’économie mixte ou les micropuces dans nos smartphones sont issus du cerveau respectivement d’une femme lesbienne, d’un homme gay, d’un homme bi et d’une femme trans respectivement. Ce sont autant de personnalités méritant d’être reconnues ,mais aussi des modèles pour des LGBTQ qui ont besoin de comprendre leur rôle dans l’humanité et un rappel pour tous ceux qui veulent nous éliminer et nous effacer de l’Histoire.

7- J.D. Et quand est-il dans le Maghreb et L’Asie ?

V.T. Il serait important que l’on apprenne l’Histoire en se basant sur des faits. Comme je l’ai dit, l’homosexualité, la bisexualité et le travestisme ont toujours existé, n’importe où dans le monde. Abû Nuwâs, le premier des grands poètes, comme Wendi Han, l’un des plus grands empereurs chinois, en témoignent. Et si aujourd’hui les LGBTQ sont rarement reconnus et respectés dans la plupart des pays asiatiques et africains, quand ils ne sont pas persécutés ou tués, on saisit bien que ce n’est pas à cause d’une différence anthropologique ou civilisationnelle. Dans ces pays, reconnaître l’apport des LGBTQ dans leur histoire ne serait que bénéfique pour comprendre la richesse et la singularité de leur culture.

8- J.D. D’après vous leurs arts ou leurs vies aurait-il été les mêmes s’ils n’avaient pas été LGBTQ+ ?

V.T. C’est la vraie question qu’on peut légitimement se poser. Est-ce que la sexualité a une influence sur nos vies, nos créations, nos opinions ? De façons pragmatique, je dirai que les personnes LGBTQ sont des citoyens et citoyennes comme les autres. Mais que dire de leur sensibilité ? Leur point de vue sur le monde, sur l’humain ? Leur rapport à l’autre ? Dès lors que vous appartenez à une minorité, que vous êtes victime de harcèlement ou de haine, que vous êtes considérés comme une menace, qu’on puisse vous mettre en prison ou vous tuer simplement parce que vous êtes LGBTQ, vous développez forcément un esprit de résistance, de résilience, de revendication, d’affirmation de soi et même d’anticonformisme. Et par conséquent, cela impacte votre existence, vos créations et vos actions.

9- J.D.Diriez-vous que l’héritage laissé à la communauté LGBTQ+ est plus important que celui qu’ils laissent au monde ?

V.T. Depuis la fin du XIXe siècle, une grande partie de la communauté LGBTQ+ s’est concentrée sur ses combats (reconnaissance, égalité, lutte contre le VIH, etc), et on peut les en remercier. On peut retrouver ces causes à travers des portraits comme ceux de Magnus Hirschfeld, Rock Hudson ou Simon Tseko Nkoli. Mais il était essentiel à mes yeux de sortir de cette vision intracommunautaire. Les trente personnalités ont réellement laissé un héritage universel, qu’il soit politique, scientifique ou artistique. Par exemple, Bayard Rustin a fait bien plus pour les droits des travailleurs et les droits civiques que pour les droits des homosexuels. De même, Luis Barragan a révolutionné l’architecture moderne, alors qu’il a toujours caché sa vie privée et n’a jamais milité pour les droits LGBTQ au Mexique.

10- J.D. En vous remerciant, qu’est que la communauté LGBTQ+ peut encore apporter ?

V.T. Clairement, avec le féminisme, les LGBTQ+ ont la responsabilité de rééquilibrer les rapports de force entre dominants et dominés. C’est quasiment une bataille anthropologique. Ce dont je suis sûr, c’est qu’il y aura toujours des lesbiennes, gays, bis, trans, ou queers parmi les grands découvreurs ou les grands créateurs dans l’avenir. Les « interdire » ou les tuer, c’est se priver éventuellement de quelqu’un qui peut changer le monde ou marquer son domaine d’activité. J’ai toujours cru que l’obscurantisme et l’ignorance pouvaient être combattus par le Savoir et l’Histoire.

Propos rapporté par Jean Davy, le 24 juin 2025 pour clicinfospectacles