N, Bonjour, Noémie Verstraete, je suis commissaire et cheffe de projet de l’exposition Enki Bilal, membre du service des expositions du Musée de l’Homme depuis 2017.
N, Enki Bilal est un artiste visionnaire et profondément humaniste. Son univers et ses réflexions font écho aux thématiques abordées dans le parcours permanent du musée de l’Homme : qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?
La proximité de nos réflexions est apparue encore plus évidente au regard de notre exposition Aux frontières de l’humain. La reproduction de l’une des œuvres de l’artiste est présentée dans l’exposition, dans la partie consacrée aux cyborgs. Mais il y avait tellement plus à explorer ! C’est pourquoi nous avons proposé à Enki Bilal de travailler sur une exposition entièrement consacrée à son univers.
N, La carte blanche est un type d’exposition. Nous souhaitions laisser la possibilité à Enki Bilal de choisir la façon dont il allait faire écho artistiquement à l’exposition Aux frontières de l’humain. Son univers est décliné sur différents supports : dessins originaux, tableaux, décors sur toile, agrandissements sur dibond, extraits de films et de clips… Cette grande diversité rend compte du travail protéiforme d’Enki Bilal.
N, « TechMécaHumain », « artifigence », « technohumanimal », « hybrimutantech », « immortaliste » et « déconstrucKt », autant de néologismes d’Enki Bilal qui font écho aux parties de l’exposition Aux frontières de l’humain : « Je suis un cyborg », « Je suis un champion », « Je suis un animal d’exception », « Je suis un mutant », « Je suis immortel » et « On va tous y passer ».
N, L’exposition aux Frontières de l’humain questionne les frontières entre l’Homme et le reste du vivant, mais aussi les frontières créées au sein de l’humanité qui sont floues, mobiles, sujettes à des révisions et rediscutées au sein des sociétés qui se transforment. Les frontières du vivant sont instables et les spécificités humaines se sont brouillées, tant grâce à une meilleure connaissance de notre lointain passé que par le biais des innovations technologiques qui repoussent nos limites humaines. Paradoxalement, voilà l’humain aujourd’hui plus proche de l’animal et en même temps plus éloigné de sa propre nature : réparé, augmenté, connecté, transformé.
N, Nous avons travaillé très étroitement avec Enki Bilal pour concevoir cette exposition. L’artiste nous a d’abord fait une large sélection de dessins originaux et de tableaux. Sur cette base, nous avons travaillé ensemble sur une sélection définitive, à partir d’un découpage thématique précis.
Chaque partie se compose de la même façon : un titre, proposé par Enki Bilal, la définition du titre par l’artiste, et un texte rédigé par le musée, pour donner aux visiteurs quelques clés de lecture de l’univers de Bilal.
N, Cette exposition a ouvert en même temps que la sortie du 3e tome de la série de bande-dessinées Bug. Nous présentons, de façon inédite, 5 dessins originaux tirés de cet ouvrage !
N, Exactement ! Bien qu’hybrides, mi-humains mi-robots ou mi-mutants, les personnages d’Enki Bilal sont empreints d’humanité. Ils aiment, ils ont soif de pouvoir, ils souhaitent repousser les limites de la mort par la cryogénisation, les hybridations, les implants… Comme les personnages de Bilal, l’humain est obsédé par sa condition mortelle et par la quête, illusoire, de son immortalité.
N, A bien des égards, le réel semble aujourd’hui dépasser la science-fiction !
Enki Bilal puise son inspiration dans l’actualité, se nourrit de la réalité pour mieux la transformer. Son univers nous donne à penser… Ses personnages évoluent dans un monde de mutants, de chimères, d’extraterrestres… À l’heure où l’intervention génétique de l’Homme sur l’Homme n’est plus uniquement un scénario de science-fiction, l’univers de Bilal nous interroge sur nos limites biologiques et éthiques.
N, Comme je l’ai dit précédemment, Aux frontières de l’humain fait fortement écho à l’œuvre d’Enki Bilal en questionnant les frontières de l’homme et sa capacité à vouloir les dépasser. Une partie de l’exposition est consacrée aux cyborgs, c’est-à-dire des créatures hybrides ayant reçu des greffes de parties mécaniques ou électroniques, ce qui reflètent totalement l’univers d’Enki Bilal. En somme, le point commun entre ces deux expositions est qu’elles s’inscrivent toutes les deux dans la continuité des thématiques du Musée de l’homme, à savoir qui sommes-nous, d’où venons-nous et où allons-nous ?
N, J’ai pour ma part un grand coup de cœur pour le tableau original Bleu sang, qui est également la première de couverture de la bande-dessinée éponyme de 1994. Les dessins originaux sont aussi exceptionnels, notamment celui de la couverture du tome 3 de Bug, très saisissant. Le rose se marie très bien avec le bleu, couleur incontournable dans l’univers de Bilal.
Jean Davy, le 24/03/2022
pour clicinfospectacles
Noémie Verstraete, Interview