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BOUTHAVY SUVILAY, Interview

Pour son livre  » Tout sur Les Chevaliers du Zodiaque et autres héros en armures « 

1- J.D. Bounthavy Suvilay, bonjour et bienvenue sur Clicinfospectacles.fr, tout d’abord pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

B.S. Je suis enseignante-chercheuse en Lettres Modernes spécialisée en culture populaire à l’université de Lille. J’ai consacré ma thèse à la réception de Dragon Ball en France, et j’ai aussi écrit plusieurs ouvrages sur l’univers du jeu vidéo indépendant.

2- J.D. Vous venez de publier aux éditions Ynnis votre passionnant « Tout savoir sur les Chevaliers du Zodiaque et les héros en armures », qu’est qui vous a intéressé dans ce genre d’animé ?

B.S. En travaillant sur mon précédent livre consacré aux robots géants paru aux éditions Ynnis, j’ai pu étudier les synergies entre l’animation et l’industrie du jouet, notamment l’impact du design sur les récits, et vice versa. Cela m’a amené à explorer les interactions entre différentes branches du divertissement et leurs dynamiques communes. Celles-ci sont également au cœur du développement des Chevaliers du Zodiaque ou Saint Seiya.

Plus étonnant encore, cet anime est lié aux feuilletons télévisés de type tokusatsu comme X-Or, Sharivan par le biais des jouets. Dans les deux cas, les produits dérivés étaient des figurines qui pouvaient revêtir une armure. Celle-ci est à la fois un objet symbolique manifestant la puissance de celui qui le porte, mais aussi un artéfact martial presque magique et un accessoire pour une figurine articulée. Le mélange entre tous ces éléments m’a semblé particulièrement remarquable.

3- J.D. Au japon de quand date la toute première série ?

B.S. Au Japon, la série Saint Seiya (1986) a joué un rôle clé dans la popularisation du manga de Masami Kurumada, lancé à peine un an plus tôt. Grâce aux modifications de designs réalisées par Shingo Araki et Michi Himeno (personnages charismatiques, armures détaillées), l’adaptation animée a remporté un vif succès et a rapidement dépassé son matériau source. Toei Animation a dû inventer une saison complète de « filler », introduisant personnages et intrigues inédits. Paradoxalement, cet arc original centré sur la mythologie scandinave a rencontré un succès particulier en Europe, où il a servi de pont culturel entre folklore nordique et culture pop japonaise, démontrant qu’un détour narratif peut devenir un vecteur inattendu de diffusion mythologique.

4- J.D. A-t-il une place particulière dans l’animation là-bas ?

B.S. Le succès de Saint Seiya et des armures au niveau des produits dérivés a suscité la création d’autres séries imitant ce concept comme Shurato développé par le studio Tatsunoko ou Les Samouraïs de l’éternel conçu par Sunrise. Mais il faut replacer Saint Seiya dans le contexte plus large des tokusatsu auxquels les créateurs du manga et de l’anime empruntent de nombreux codes. Il ne faut pas croire qu’il y aurait d’un côté le dessin animé et de l’autre les séries live. En réalité, les mêmes personnes peuvent travailler dans un secteur ou l’autre et les interactions sont nombreuses. Le livre essaie de remettre en contexte la production de la série dans ces univers de pop culture japonaise.

5- J.D. Y a-t-il des auteurs ou un studio d’animation qui sont spécialisés dans ce genre ou pas du tout ?

B.S. Malgré la création de versions concurrentes, Les Chevaliers du Zodiaque n’a pas vraiment créé un genre à part entière. En revanche, il y a des nombreuses séries qui empruntent des éléments au tokusatsu comme l’a fait Saint Seiya. Plus récemment, ces influences croisées sont plus évidentes avec des séries comme Dandadan (2024), ou les références à Ultraman sont omniprésentes.

6- J.D. Dans l’histoire française du dessin animé, on constate que très tôt ce type d’animé a déjà été diffusé ?

B.S. En France, Les Chevaliers du Zodiaque fait partie des premières séries japonaises diffusées dans le Club Dorothée à partir de 1988. Son succès fut immédiat, en dépit d’épisodes partiellement censurés et des polémiques liées à sa représentation de la violence. Ce phénomène n’aurait probablement pas été possible sans le contexte favorable de la fin des années 1980, marqué par la libéralisation du paysage audiovisuel.

Jusque-là, la diffusion télévisée était un monopole de l’État. Mais avec la privatisation de TF1 en 1987, suivie de la création de nouvelles chaînes privées, les responsables de programmation ont dû combler rapidement leurs grilles horaires. Ils se sont alors tournés massivement vers les dessins animés japonais, plus accessibles financièrement et déjà prêts à l’emploi. Saint Seiya a ainsi bénéficié d’une conjoncture particulièrement favorable : un alignement entre besoins économiques, ouverture du marché et appétit du jeune public.

7- J.D. Comment expliquez-vous l’immense succès des « Chevaliers du Zodiaque » chez nous ?

B.S. L’animation japonaise offre aux jeunes garçons des figures héroïques exemplaires, répondant à leur besoin de modèles positifs. Dans Les Chevaliers du Zodiaque, les protagonistes cherchent constamment à se surpasser pour venir en aide à leurs camarades, et la rivalité y est valorisée comme moteur de dépassement personnel, tant physique que mental. Cette éthique de l’effort et de la solidarité me semble particulièrement enrichissante pour un jeune public, car elle leur offre une image active et résiliente.

Par ailleurs, la violence des combats, souvent critiquée par les parents, est atténuée par son traitement stylisé et son esthétique non photo-réaliste propre à l’animation. Elle devient un passage obligé qui teste la détermination du héros et conduit à une forme de « mort symbolique » permettant l’accès au Septième Sens. Il s’agit en quelque sorte d’un rite initiatique, aujourd’hui largement absent dans nos sociétés contemporaines, où le divertissement tend à enfermer le public dans un rôle de consommateur passif et infantilisé.

Enfin, Saint Seiya a également eu le mérite de reconnecter une génération à la mythologie gréco-romaine, à travers le prisme de la culture populaire japonaise. Cet univers continue de vivre aujourd’hui à travers les figurines, les rééditions et les séries dérivées, témoignant de la vitalité d’un imaginaire collectif toujours actif.

8- J.D. Après ont été diffusé « Shurato » ou « Les Samourais de l’éternel » entre autres, que leurs doivent-elles ces séries ?

B.S. L’innovation majeure apportée par Masami Kurumada dans Saint Seiya réside dans l’intégration étroite entre le récit original et les produits dérivés, pensée dès la conception de l’œuvre. D’une certaine façon, les armures des chevaliers jouent un rôle similaire à celui des mechas ou robots emblématiques des productions de studios comme Tatsunoko ou des créations de Gô Nagai. Le principe repose sur l’assemblage d’éléments distincts pour donner naissance à une entité transformée. À l’image des motos se muant en exosquelettes dans Mospeada (1983), Saint Seiya réinvente les figures animales des constellations (cheval, dragon, cygne, phénix) en armures de combat, conférant à leurs porteurs puissance et dynamisme. Dans des œuvres telles que Shurato ou Les Samouraïs de l’éternel, cet usage de l’armure se poursuit, mais le socle mythologique évolue : il s’appuie sur les traditions hindoues, le shintoïsme, etc.

Par exemple, les armures dans Les Samourais de l’éternel ne se contentent pas d’être des protections physiques ; elles incarnent des valeurs et des vertus fondamentales du confucianisme. Chacune est associée à un élément et à une vertu : Ryo (feu et bienveillance), Tôma (ciel et sagesse), Seiji (lumière et droiture), Shu (terre et loyauté), et Shin (eau et foi). Ces vertus ancrent les personnages dans une philosophie morale qui souligne la force collective et l’équilibre.

9- J.D. Selon vous quel héritage laissent-ils?

B.S. Le succès des figurines dérivées de Saint Seiya à la fin des années 1980 a lancé une mode de jouets articulés à armures. D’autres séries télévisées reprennent le concept de figurine articulée à habiller comme Borgman (1988), etc. Le concept est aussi repris pour les produits dérivés de séries télévisées en prises de vue réelle comme Giraya (1988), Kamen Rider Black RX (1989), Winspector (1990)… Bien que certaines adaptations aient tenté de reproduire ce succès, aucune n’a égalé l’impact de Saint Seiya. Après l’arrêt de la série en 1989, la production des figurines a cessé, mais la passion des collectionneurs est restée vive, poussant Bandai à relancer la gamme dans les années 2000. Toutefois, les premières éditions restent toujours les plus prisées pour leur qualité supérieure et les illustrations originales de Michi Himeno.

10- J.D. En vous remerciant, et maintenant ?

B.S. Maintenant, il faut que je travaille sur le prochain livre.

Propos rapporté par Jean Davy, le 05 juin 2025 pour clicinfospectacle