Interview de Corinne Lepeytre
1-J.D. Corinne Lepeytre, bonjour et bienvenue sur Clicinfospectacles.fr, tout d’abord pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
C.P Je suis artiste graveure. Je pratique la gravure depuis une douzaine d’années. C’est d’abord la curiosité qui m’a amené à pousser la porte d’un atelier de gravure. En 2006, ma passion de Paris m’a permis de découvrir les eaux-fortes d’Erik Desmazières au musée Carnavalet. Dans le même temps, un documentaire Gallix sur son travail et sur l’atelier de René Tazé était diffusé au Petit Palais. C’est devant ces images que j’ai eu envie de découvrir cette technique. C’est ainsi que je me suis inscrite à Paris-Ateliers, oú j’ai commencé à pratiquer l’eau-forte à l’ateliers des Arquebusiers auprès du graveur Francis Capdeboscq.
2- J.D. Depuis le 3 décembre, à la Boutique Charbonnel (13 quai de Montebello, Paris 5e), vous exposez votre travail sur Notre Dame De Paris dans la très belle exposition « Notre Dame sur le zinc » quelle en est l’origine ?
C.P. Le lien avec la boutique Charbonnel est très important pour moi : c’est le lieu de la première présentation de mes estampes au public. En face de Notre-Dame la boutique Charbonnel accueille les graveurs qui viennent se fournir en produits spécialisés, les artistes dessinateurs, peintres, etc., et les visiteurs de la capitale. Mon travail porte particulièrement sur Paris. Mes gravures y ont rencontré un succès immédiat. C’était très encourageant.
L’équipe qui anime la boutique a imaginé un évènement en lien avec la réouverture de Notre-Dame et m’a proposé d’y participer.
Lorsque les échafaudages avaient été montés en 2018, j’envisageais de graver une série consacrée à la cathédrale. L’incendie en 2019 m’a stoppé net. Le projet autour de la réouverture m’a stimulé pour y revenir. Ainsi, depuis le début de l’année j’ai pu réaliser 8 vues autour de Notre-Dame.
Je présente ces gravures mais aussi leurs matrices de zinc pour cette exposition qui se poursuit jusqu’au 1er février 2025.
3-J.D. Pourquoi avoir choisi de travailler avec le zinc ?
C.P. J’ai d’abord appris la technique de l’eau-forte sur cuivre. C’est un acide qui va creuser le métal. Plus le métal est incisé, plus il va retenir l’encre pour l’impression. Le zinc est plus souple que le cuivre, l’acide le creuse plus vite et des accidents surviennent facilement. J’aime ces accidents. J’apprécie de ne pas tout maîtriser, de composer avec. L’expérience du zinc m’a conforté en ce sens. Et, bien sûr, le zinc est emblématique de Paris. Quand on surplombe la ville, c’est la couleur du zinc qui domine. Ce gris bleu me fascine. Ses reflets sont magiques.
4-J.D. Pouvez-vous nous expliquer votre technique de travail ?
C.P. Je pratique l’aquatinte sur zinc. Quand mon dessin est prêt, je dois préparer la matrice de zinc. Je dépose à sa surface une résine en poudre, de la colophane. Je la fais fondre cette en la chauffant afin de la fixer sur la plaque de métal. Il faut imaginer une couche de poussière avec une infinité de grains. Une fois fixés ces grains de colophane empêchent l’acide d’accéder au zinc. Mais entre ces grains, il y a de tout petits espaces libres où l’acide va attaquer le zinc. Plus on laisse la plaque longtemps dans l’acide, plus la morsure est profonde, et plus l’encre va être retenue. C’est en fait une illusion d’optique : on voit des à-plats teintés alors qu’il s’agit de micro points blancs (là où la résine a protégé le zinc et où il est resté lisse) et des points colorés (là où l’acide a pu creuser et où est retenue l’encre).
Quand la plaque est prête, je pose des repères de mon dessin au crayon. Et je protège les zones que je veux préserver avec un vernis à recouvrir, au pinceau. Mon geste est celui du peintre. Ces espaces resterons lisses, ne retiendront pas l’encre, et à l’impression resteront blancs (si le papier est blanc). Je plonge ma plaque une première fois dans l’acide (du sulfate de cuivre). Quelques secondes suffisent pour obtenir la première tonalité de gris (si l’encre est noire). Je rince la plaque et la sèche. Puis je pose au pinceau le vernis sur les zones où je souhaite garder ce premier gris. Une fois le vernis sec, je replonge la plaque dans l’acide pour obtenir le second gris. Et je renouvelle ces opérations autant de fois que je souhaite obtenir des tonalités différentes. Une quinzaine de fois pour cette série.
Je ne découvrirai qu’à la fin, au moment de l’impression, le résultat.
Pour imprimer je dois retirer le vernis et la colophane puis encrer la matrice. Je prépare un papier : je le découpe et l’humidifie avant le poser sur la matrice encrée et de passer l’ensemble dans une presse. Ce n’est qu’après ce passage que je découvre le résultat.
5-J.D. Y a-t-il une différence entre ce que vous avez imaginé et le résultat ?
C.P. Oui toujours. C’est une surprise toujours renouvelée, la magie de la taille douce !
Et j’aime cette surprise. Il y a toujours des accidents : des endroits où l’acide passe au travers du vernis. J’aime les laisser advenir.
6-J.D. Peut-on dire que vos œuvres sont vivantes ?
C.P. Oui je l’espère. D’abord parce que je représente Paris tel que je ressens la ville aujourd’hui. Même si ma vison est empreinte du passé. Ensuite parce que ce qui m’importe ce sont les vibrations de la lumière. La technique de l’aquatinte me semble idéale pour y parvenir. Et les « accidents » amplifient cette vie.
7-J.D. En vous remerciant, selon vous, lorsque l’on inspire de Notre Dame de Paris, y a-t-il un avant et un après ?
C.P. Bien sûr, il y a un avant et un après. Notre-Dame est aussi le point zéro des routes de France. C’est le cœur de la Cité. Sa renaissance est tout un symbole. Un nouveau départ.
Propos rapporté par Jean Davy, le 7 janvier 2025 pour clicinfospectacles
1 J. D. Jerome Rasto, bonjour et bienvenue sur Clicinfospectacles.fr, tout d’abord pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
J.R. Bonjour et surtout un grand merci pour cette invitation à échanger autour de la peinture de Notre Dame de Paris. Mon nom est Jérôme Rasto, je suis peintre et je vis à Paris .
2- J.D. A l’occasion de la très belle exposition de Corinne Lepeytre « Notre Dame sur le zinc », vous avez habillé les façades de la Boutique Charbonnel (13 quai de Montebello, Paris 5e), qu’est qui vous a intéressé dans ce projet ?
J.R. Intervenir sur les vitrines de la mythique boutique Charbonnel était l’occasion d’un dialogue avec les vitraux de Notre Dame de Paris. L’idée étant de rendre hommage à la Cathédrale ainsi qu’à ceux qui ont oeuvré et œuvrent aujourd’hui pour elle. Et puis travailler pour Lefranc Bourgeois est comme un pèlerinage… à la source « matérielle » de la peinture.
Clémence Blanc et Marie Vincent de l’équipe Lefranc Bourgeois m’ont offert la possibilité de ce dialogue en me laissant une totale liberté, c’est très précieux. Le fond avait donc du sens et la forme également puisque la Flashe est ma peinture de prédilection. C’est un héritage de mon père qui l’utilisait pour ses décors peints. J’étais intrigué par ce contenant atypique, fasciné par le rendu de la couleur.
J’y suis revenu avec le temps, y trouvant la matité des fresques médiévales, des œuvres sur parchemin… Plus proche de la tempera que l’acrylique, plus précieux que la gouache, aussi lumineux que l’aquarelle. Elle permet la superposition de couches très fines et pourtant très dense en pigmentation. Ce qui offre la possibilité d’approcher l’impression de lumière traversante que l’on retrouve face à un vitrail.
3- J.D. Est-ce plus facile investir de grandes surfaces comme ici que des plus petites ?
J.R. Ce n’est pas la même approche mais j’appréhende avec autant de gourmandise les miniatures que les grands formats… La lecture ne sera pas la même, la composition doit donc s’adapter mais ce n’est pas une contrainte, plus une somme de possibilités.
Le travail sur le verre est une autre exigence, il impose de ne pas repasser sur ses traces au risque d’une détrempe sans retour possible. Il y a un équilibre à trouver dans la gestuelle entre tension et délicatesse.
4- J.D. Quelles ont été vos références pour la création de cet habillage ?
J.R. La rose ouest est le point de départ de cette réflexion. Elle reprend notamment les signes du zodiaque associés aux métiers, ainsi que les vices et vertus, avec en son centre Marie.
Les métiers sont représentés et honorés par l’architecte à gauche qui tient un fil à plomb avec une très symbolique pyramide inversée.
A droite se tient une femme reprenant la symbolique du signe de la balance, qui est le signe astrologique dans lequel se situait la période de réalisation de cette peinture et qui illustre la nécessaire quête d’équilibre pour la reconstruction de Notre Dame, entre le passé et le présent notamment. La chevelure d’or de la femme représentée est un clin d’œil à Iseut du roman « Tristan et Iseut » et au Fin’Amor, l’Amour Courtois.
Les personnages descendent du ciel, une allégorie du caractère avant tout sacré de l’édifice.
Les végétaux sont très présents, ornements et symboles de la vie qui prend et reprend toujours toute sa place. C’est aussi un clin d’œil aux arbustes très présents dans les vitraux originaux de Notre Dame de Paris.
La toile « Thunderstruck » évoque le courage, le non-renoncement face à qui pourrait sembler être une fatalité (les événements qui ont touché Notre Dame).
L’épée évoque la force et l’engagement… les éclairs placent la scène dans notre époque, une ère faite de réseaux, de faisceaux qui connectent et éloignent, un clin d’œil aussi aux éclairs que l’on retrouve dans bon nombre de films de science-fiction.
5-J.D. Entre les œuvres de Corinne Lepeytre et les vôtres, il y a une cohérence indéniable, avez-vous collaboré ensemble ?
J.R. Nous nous sommes rencontrés après l’accrochage, et avons travaillé sans nous concerter mais je crois que nous partageons un certain regard qui nous rapproche, même s’il s’exprime peut-être différemment sur la forme. J’espère sincèrement que nous pourrons travailler ensemble prochainement.
6-J.D. Pouvez-vous nous parler du choix des couleurs ?
J.R. Le rouge et le blanc des bordures est une référence directe aux vitraux de la rose ouest. Je voulais créer un lien visuel, un repère sur le principe d’un « cheval de Troie ophtalmique ».
J’utilise par ailleurs beaucoup de couleurs fluorescentes, elles s’inscrivent dans notre époque et m’offrent un outil efficace pour composer les vibrations souhaitées.
7- J.D. En vous remerciant, allez-vous continuer à tailler la pierre brute qu’est Notre Dame de Paris et comment ?
J.R. Il y a beaucoup à explorer dans l’univers de Notre Dame, et je sais que ce dialogue sèmera encore dans mon travail.
Pour ce qui est de la notion de « pierre brute », il me semble que la symbolique nous porte vers l’introspection nécessaire à notre désir de perfectionnement, d’élévation technique et spirituelle ; et cette quête va de pair avec le travail de peintre.
Propos rapporté par Jean Davy, le 7 janvier 2025 pour clicinfospectacles