1- JD. Cyrille Gouyette, bonjour et bienvenue sur Clicinfospectacles.fr, tout d’abord pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
C.G. Je suis historien de l’art, expert en art urbain, auteur et commissaire d’exposition.
2- J.D. Vous venez de publier aux Editions Alternatives « Faces au mur, le portrait dans l’art urbain », qu’est-ce qui vous a intéressé ?
C.G. Le portrait est un art très prisé par les artistes urbains et les murs de nos villes sont recouverts de visages. Pour autant, tout visage n’est pas un portrait et il m’a semblé intéressant de mettre ses visages en perspective avec l’art du portrait, un genre à part entière, qui s’est développé en Occident, depuis l’Antiquité à nos jours, en peinture puis en photographie. Il me semblait pertinent alors de voir comment l’art urbain en reprend ou en détourne les codes.
3- J.D. Qu’est que vous entendez par « Art Urbain » ?
C.G. Il s’agit d’un art visuel qui se développe dans l’espace public, principalement sur les murs mais aussi sur le mobilier urbain, avec des techniques très variées qui vont du collage au pochoir ou encore au tracé au rouleau, à la brosse voire à la perche, permettant de faire de vastes peintures, le plus souvent figuratives, mais comprenant aussi parfois du lettrage, du graffiti.
4- J.D. Comment expliquez-vous l’appropriation du visage par le street art dans son histoire ?
C.G. La représentation du visage est certainement ce qui est le plus accessible en art et permet à un large public de s’approprier facilement une œuvre. En outre, les personnages portraiturés sont connus voire reconnus : soit issus de la culture populaire – comme des stars de cinéma, de musique, de télé ou des sportifs, principalement des footballeurs – soit des personnalités d’un quartier considérées comme des héros du quotidien, des personnes choisies par les artistes pour leur redonner une visibilité et leur rendre hommage. La spécificité du Street Art, en tant qu’art démocratique est précisément de choisir ses propres modèles parmi le commun des mortels et non plus sur commande de riches particuliers, tels les portraits réalisés sur les tableaux de chevalet qu’on trouve dans les musées. C’est en cela un art contextuel qui s’adapte aux lieux où il intervient.
5- J.D. Sait-on dater les premiers portraits qui ont été réalisés ?
C.G. Les premiers portraits datent de l’Antiquité. Certains ont subsistés sur les murs des villas de Pompéi par exemple ou sur les panneaux qui ornent les momies du Fayoum, en Égypte romaine. Mais le renouveau du portrait a lieu réellement à la Renaissance où une élite princière, aristocratique et bourgeoise, aime à se faire représenter dans ses plus beaux atours, avec des attributs qui les identifient, les mettent en valeur et définissent leur rang social.
6- J.D. Avait-il une signification particulière à l’époque et a-t-elle changée depuis ?
C.G. a signification des portraits a longtemps été essentiellement sociale. Il s’agissait de s’inscrire dans une dynastie, de montrer son appartenance, d’afficher sa réussite pour être reconnu par ses pairs. Avec le street art, la donne change puisque les modèles sont choisis par les artistes et ce pour mettre en valeur des personnalités populaires dans tous les sens du terme, Pop star ou figures du quartier.
7- J.D. Quels sont les points communs entre les visages d’hier exposés au musée et les visages d’aujourd’hui ?
C.G. Leur part d’humanité. Le portrait, c’est véritablement la représentation d’une individualité et d’une l’identité. Dans la plupart des portraits, on retrouve ce soin apporté à rendre la psychologie, la personnalité et les expressions d’un visage qui, selon les styles, passe par le rendu de la carnation, des détails tel que les rides, l’éclat d’un regard, la moue d’une bouche, etc. D’où un tropisme très fort du street art pour l’hyperréalisme qui délivre un visage lisible et reconnaissable.
8- J.D. Et entre une représentation féminine et masculine, le message est-il différent ?
C.G. A priori, il s’agit toujours de rendre les traits d’une individualité. Cependant, selon les artistes, on observe plus ou moins et de concessions aux canons de la beauté et certains se plaisent à remettre en question les stéréotypes de genre. A ce titre, les artistes urbains sont pleinement en phase avec leur époque et selon leur engagement peuvent choisir de profiter de la visibilité de leurs murs pour faire passer des messages ou bien rester sur une ligne plus consensuelle.
9- J.D. Selon vous que dit « un portrait » d’une société ? Et de son auteur ?
C.G. En ce qui concerne l’art urbain, il est manifeste que ces portraits nous parlent pleinement de nos contemporains, que ce soit des pop stars vénérées par les foules ou que ce soit ces anonymes que l’on croise dans le quartier et qui montre les valeurs démocratiques de cet art de rue qui s’offrent à tous gratuitement. Il nous montre aussi une société avide d’art et de culture qui plébiscite cet art urbain qui vient jusqu’à aux apporter poésie et sérénité dans la ville corroborant le slogan de Mai 68 « La beauté est dans la rue ! ».
Concernant les artistes, leur sensibilité s’exprime à travers leur style et leur relation plus ou moins proche à leur modèle. Si d’aucuns usent des mêmes sempiternels clichés de stars pour les interpréter selon leur technique, d’autres choisissent comme on l’a vu leur propre modèle et y mettent davantage de leur propre personnalité. Un certain nombre choisit d’ailleurs de s’auto-portraiturer dans la rue pour mettre en abime nos habitudes sociales, un peu comme un miroir.
10- J.D. Et peut-il avoir une réelle influence sur celle-ci ?
C.G. On peut se plaire à penser que côtoyer au quotidien des figures exemplaires de notre société puisse amener tout un chacun à vouloir imiter leur comportement, respecter ou se ranger derrière leurs valeurs. C’était déjà l’idée dans l’Antiquité où les statues de dieux, de héros ou de philosophes installées dans l’agora ou le forum devaient servir d’exemplum.
11- J.D. Dans cet art qu’est devenu le street art, y a-t-il des icônes intemporelles ?
C.G. On peut certes citer quelques stars comme Maryline ou la Joconde. Néanmoins, le propre du street art, art éphémère, est précisément de se renouveler constamment et de célébrer selon les contextes locaux des anonymes, des gens de la rue.
12-J.D. En vous remerciant, avec la place de plus en plus importante de l’intelligence artificielle l’art urbain ne risque-t-il pas de perdre son pouvoir et sa force ?
C.G. Non, au même titre que pour les autres arts, l’IA reste un outil que peuvent s’approprier les artistes pour renouveler leurs sujets ou repenser leurs compositions mais cette dernière ne pourra jamais remplacer la virtuosité et la technicité des artistes qui doivent couvrir d’immenses surfaces de murs en extérieur. Le geste, l’implication corporelle et l’adrénaline restent les fondamentaux de l’art urbain.
Propos rapporté par Jean Davy, le 28 janvier 2025 pour clicinfospectacles