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Fabien Randanne, interview

Pour la sortie de son livre « QUEEROVISION »

1- J.D. Fabien Randanne, bonjour et bienvenue sur Clicinfospectacles.fr, tout d’abord pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

F.R. Bonjour ! Je suis journaliste au service culture de 20 Minutes depuis 2015 et c’est aussi depuis cette année là que je couvre l’Eurovision pour mon média.

2- J.D. A l’occasion de l’Eurovision 2025 de Basel, vous venez de sortir aux éditions Double Ponctuation « Queerovision », qu’est qui vous intéresse dans le plus grand concours de la chanson du monde ?

F.R. Ce que je trouve passionnant avec l’Eurovision, c’est la manière dont on peut lire, à travers cet événement, l’histoire de l’Europe – et au-delà -, les sujets qui traversent les sociétés selon les époques, les évolutions des mentalités, les tensions géopolitiques. C’est bien davantage qu’un concours de chansons. Certains pays s’en servent comme d’une vitrine, d’autres font passer des messages, des artistes s’engagent… Il y a mille et mille histoires à raconter.

3- J.D. Pourquoi ce titre « Queerovision » ?

F.R. Ce néologisme s’est imposé très rapidement. Il s’agit de la contraction des mots « queer » et « Eurovision ». Ici, « queer » englobe toutes les identités LGBT+. Je voulais raconter comment le concours reflète l’évolution de la perception des personnes homosexuelles, bi, trans et non-binaires d’une époque à l’autre, remettre les participations des artistes appartenant à cette communauté dans le contexte de leur époque. 

4-J.D.  La toute première lesbienne a participé a été Dany Dauberson représentante française en 1956, peut-on dire que l’Eurovision a dès son lancement été une fenêtre expression pour la communauté LGBTQ+ ?

F.R. Non, car, la chanson qu’elle a interprétée s’intitule « Il est là ». Il y est question d’un homme et donc d’une relation hétérosexuelle. L’homosexualité de Dany Dauberson était connue du milieu artistique et intellectuel parisien de l’époque – elle était tête d’affiche du cabaret lesbien de Frede – et d’une partie du grand public car la presse que l’on n’appelait pas encore people évoquait parfois ses histoires d’amour avec pas mal de sensationnalisme. Mais elle n’a pas été un porte-voix des lesbiennes à l’époque.

5- J.D. Y a-t-il eu un concurrent qui après son passage fasse basculer l’Eurovision dans la culture LGBTQ+ ?

F.R. Le tournant a lieu dans les années 1990. Il s’inscrit dans un contexte où l’acceptation de l’homosexualité commence à s’élargir, notamment en Europe de l’Ouest. L’homosexualité a été supprimée de la liste des maladies mentales de l’OMS en 1990, les partenariats civils accordant des droits aux couples de personnes de même genre sont mis en place dans une poignée de pays, etc… A l’Eurovision, le premier candidat ouvertemant gay, l’Islandais Paul Oscar, apparaît en 1997. Et, en 1998, Dana International, une femme trans, représente Israël et remporte le concours. Ces deux artistes ont posé un premier jalon dans la dimension « progressiste » de l’Eurovision tel qu’on le connaît aujourd’hui.

6- J.D. Comment expliquez-vous cette appropriation ?

F.R. Il y a, dans l’Eurovision, plusieurs ingrédients qui parlent à la communauté LGBT, et notamment aux hommes gays : l’esprit festif, les paillettes, les chanteuses à voix, une esthétique camp, c’est à dire un kitsch assumé, un excès revendiqué. A la fin des années 1990, ces fans homos particulièrement mobilisés, deviennent visibles dans les fosses : le concours change de braquet, s’organise dans des arenas, et devient comme un grand concert, alors qu’il s’est longtemps déroulé dans une ambiance guindée ou dans un dispositif de divertissement rappelant une émission de variétés. 

7- J.D. Qu’est que le concours a apporté à la communauté LGBTQ+ ?

F.R. Parce que les artistes LGBT sont devenus de plus en plus visibles sur la scène, beaucoup de personnes LGBT ont trouvé en eux des représentations positives. Il y a encore trente ans, l’homosexualité ou la transidentité étaient médiatiquement abordées sous l’angle sensationnaliste, et les exemples de stars ouvertement LGBT ne couraient pas les rues. Plusieurs générations n’ont eu qu’une poignée de « modèles » pour se construire. Sur la scène de l’Eurovision, les artistes LGBT s’assument, ne s’excusent pas et sont célébrés. Cela compte énormément.

8- J.D. Et inversement qu’est qu’elle a apporté au concours ?

F.R. L’Eurovision doit beaucoup à ses fans LGBT+ qui sont parmi les plus mobilisés pour le faire vivre tout au long de l’année, via les chaînes YouTube, podcasts, blogs, etc. qui suivent l’actualité du concours, la séléction des artistes, etc. Lorsque l’Eurovision a été en perte de vitesse au début des années 2000, car les médias semblaient s’en désintéresser, les fans LGBT eux, lui sont restés fidèles.

9- J.D. Selon vous qu’est que l’Eurovision nous dit sur nous et sur notre société ? Et quelle a été ou est son influence ?

F.R. L’Eurovision est à la fois un miroir qui nous est tendu et une vitrine sur le monde. Même si le reflet peut être déformant. Quand la Russie présente une chanson pacifiste – aux antipodes de la politique du Kremlin – cela n’est pas anecdotique, par exemple. Il s’agit de soft power. La victoire du groupe de Kalush Orchestra, massivement soutenu par les votes du public, a témoigné de la solidarité des peuples envers l’Ukraine, quelques mois après que la Russie l’a envahie. En 2024, Nemo remporte le concours avec une chanson évoquant sa non binarité, une notion qui n’a rien de nouveau mais commence à être de plus en plus familière aux yeux du grand public. Un tel titre n’aurait pas, je pense, été possible il n’y a ne serait-ce que dix ans…

10- J.D. Comment est-il perçu à l’étranger ?

F.R. Cela dépend des pays. En Italie, par exemple, il est bien moins suivi que le mythique Festival de la chanson italienne de Sanremo, qui a d’ailleurs été la source d’inspiration du concept de l’Eurovision. Dans d’autres pays, comme la France, c’est un concours souvent perçu par la lorgnette du pseudo-kitsch, du divertissement rigolo, même si, depuis quelques années, en France les choses tendent à changer et l’événement est davantage pris au sérieux. Dans les pays nordiques, de l’Islande à la Finlande en passant par la Suède, l’Eurovision est adoré, énormément suivi. 

11-J.D.  Les polémiques qui l’accompagnent chaque année, d’après vous l’affaiblissent-elles ou au contraire le renforcent-elles ?

F.R. Ces polémiques montrent que le concours revêt des enjeux beaucoup plus sérieux que ce que beaucoup pensent. Que, par exemple, la participation d’Israël soit controversée est la preuve que l’Eurovision est un terrain de géopolitique et de soft power et qu’il ne s’agit donc pas qu’une histoire de chansons. Je ne saurais dire si les polémiques l’affaiblissent ou non. Tout dépend des réponses que les organisateurs donneront aux questions et remarques des délégations et diffuseurs notamment. Certains demandent que la procédure des votes du public soit revue. Peut-être que des changements seront apportés pour la prochaine édition. Mais ce qui est sûr, c’est que depuis quelques années, l’Eurovision capte de nouveau très fortement l’attention des médias qui commencent à en relater, analyser et exposer les enjeux. Ce regain d’intérêt est un signe de bonne forme selon moi.

12- J.D. En vous remerciant, parmi les 12 portraits de « Queervision » lequel est le plus représentatif ?

F.R. Je dirais peut-être celui de Conchita Wurst qui rassemble plusieurs traits que l’on retrouve ci et là chez les artistes des autres chapitres : le fait de faire fasse à la haine, au rejet, l’engagement, la dimension politique, et, très important aussi, le talent.

Propos rapporté par Jean Davy le 28 mai 2025 pour clicinfospectacles