B.D, Bonjour et merci de m’y recevoir !
Je rédige actuellement une thèse en droit pénal, sur le thème « Le discernement des mineurs en matière d’infractions sexuelles ». En parallèle, je suis juriste dans un hôpital psychiatrique, chargé de travaux dirigés à l’Université et auteur de l’ouvrage Dans la peau des criminels publié chez Enrick B Editions.
B.D, Cet ouvrage est issu d’un mémoire universitaire sur « Le tatouage en criminologie » que j’ai soutenu à l’Université Paris-Panthéon-Assas. Je cultivais déjà à l’époque un intérêt artistique et culturel pour le tatouage, et ça a été pour moi l’opportunité de lier quelque chose que j’aime à mon travail de recherche. J’ai donc pris énormément de plaisir à me documenter sur cet art corporel, à comprendre son histoire, ses origines, ses évolutions, et évidemment son utilisation par certains groupes criminels. J’ai aussi découvert le monde des tatoueurs, son fonctionnement, ses codes, ses valeurs, ses angoisses, etc. J’ai pu me lier d’amitié avec certains professionnels de l’aiguille, dont Arno KSR qui a accepté d’illustrer magnifiquement le livre.
B.D, Il y a énormément de criminels qui ne sont pas tatoués, sans doute même la majorité. Le tatouage n’a en réalité aucun lien avec la criminalité, contrairement à ce qu’ont pu dire certains auteurs et scientifiques, et c’est ce que tend à démontrer une partie de l’ouvrage. En l’absence de statistiques sur le sujet, on n’est même pas sûr que les criminels se tatouaient davantage que les honnêtes gens : en vérité, les tatoués s’encrent le corps pour de très nombreuses raisons, le fait qu’ils commettent des infractions relève plutôt de la coïncidence. Mais il est vrai que certains groupes criminels, faisant figure d’exception, pratiquent le tatouage de manière systémique, voire institutionnelle. Quatre d’entre eux sont étudiés dans le livre.
B.D, Le tatoué, criminel ou non, choisira son tatouage en fonction de ses influences, au même titre qu’il choisira telle ou telle nourriture, tel ou tel vêtement. Les styles et les motifs varient en fonction de l’époque et du lieu. Mais la mondialisation n’a pas épargné le monde de l’encre, et n’importe qui peut se faire tatouer dans un style venant de l’autre côté de la planète.
B.D, Tout dépend de ce dont on parle. On a découvert des objets servant à la réalisation des tatouages mais aussi des statuettes « marquées » (qui servaient de modèles pour les futurs tatouages) datant de 25 000 ans, mais aucun reste humain aussi ancien. Le tatoué le plus ancien a vécu il y a « seulement » 5300 ans, et il s’agit d’Ötzi, un homme découvert en 1991 à la frontière entre l’Italie et l’Autriche.
B.D, Dire que la signification du tatouage a évolué avec le temps serait assez étrange, parce que le tatouage n’a jamais eu la même signification d’un lieu à un autre, voire d’une personne à une autre. À la même période, le tatouage pouvait avoir une fonction thérapeutique dans une partie du monde (comme des points d’acuponcture), faire office d’état civil dans une autre, ou encore être la marque du criminel dans une troisième. Sur une même île, le tatouage peut être pour certains le symbole du chef (donc son statut social), et pour d’autres un signe de soumission aux dieux. Et aujourd’hui, pour beaucoup de gens, le tatouage n’a finalement pas tellement de signification propre, sinon une décoration corporelle.
B.D, J’ai le sentiment que, jusqu’au milieu du siècle dernier, un tatouage avait nécessairement une signification particulière, parce qu’il s’inscrivait dans un groupe social et culturel. Aujourd’hui, le tatouage étant passé d’une pratique de groupe à une pratique de soi, chacun peut finalement représenter ce qu’il souhaite par le symbole qui lui semble le plus adapté. Il y a encore des significations qui perdurent dans certaines cultures, notamment dans les groupes criminels qui pratiquent le tatouage, mais cela tend à diminuer.
B.D, Un docteur des prisons avait réalisé à la fin du 19ème siècle une étude statistique sur le tatouage chez les prisonniers à Nîmes, et avait constaté que plus les prisonniers étaient âgés, moins ils étaient tatoués. Il en avait déduit que le jeune âge et l’immaturité étaient alors des facteurs menant aux tatouages. Cette déduction était particulièrement bête, s’agissant d’une pratique indélébile, mais disons qu’il n’était pas très objectif sur la question !
En revanche, chez les prisonniers russes par exemple, le type d’infraction commise peut influer sur les tatouages, les motifs pouvant désigner certains actes criminels. Cela se retrouvait avant la Seconde Guerre mondiale dans les prisons françaises, mais de manière plus anecdotique.
B.D, À mon sens, le tatouage est une forme d’expression, parfois artistique, qui est partagée presque partout dans le monde. Mais comme il utilise des symboles spécifiques avec des significations parfois très précises, il me semble impossible d’affirmer que c’est universel. Comme pour une langue, on peut l’apprendre, la comprendre, et même l’adoptre dans son quotidien. Mais cela ne veut pas dire que tout le monde la comprendra. Surtout que, rappelons-le, la majorité de la population n’est pas tatouée !
B.D, Si on y inclut le lettrage, il me semble que c’est le fine line, le stylé créé par les gangs latino-américains dans les prisons, qui est aujourd’hui le style le plus répandu dans le monde. Mais il y a aujourd’hui tellement de styles de tatouages différents et de tatoués qu’il apparaît difficile voire impossible de donner une réponse avec certitude.
B.D, Le tatouage est une pratique douloureuse, surtout lorsqu’il dure longtemps et sur certaines parties du corps. Donc le nombre et la taille des tatouages peuvent faire passer un message de puissance ou de résistance aux autres détenus. Chez les prisonniers russes, ce sont les symboles hiérarchiques, et non pas le nombre ou la taille, qui indiqueront la place du tatoué dans l’échelle carcérale.
B.D, Les femmes ont une place particulière dans la criminalité. Sauf pour certaines infractions spécifiques, notamment les infanticides, les femmes sont très sous-représentées dans la criminalité, soit parce qu’elles commettent peu d’infractions, soit parce qu’elles sont objectivement peu ou faiblement condamnées. Surtout, elles sont presque toujours exclues des groupes criminels (traditionnellement, les Yakuzas sont nécessairement des hommes par exemple). Lorsqu’elles font malgré tout partie de groupes criminels comme chez les gangs latino-américains, alors elles adoptent les mêmes codes du tatouage que les hommes.
B.D, La démocratisation du tatouage intervient à peu près en même temps que son déclin dans la criminalité. Avec l’essor de l’identification judiciaire, les criminels ont eu de moins en moins intérêt à se tatouer. Parallèlement, la population générale a tendance à se tatouer de plus en plus. Si bien que c’est presque à se demander si, un jour, le fait de ne pas être tatoué ne serait pas un signe de criminalité !
B.D, C’est toujours très impressionnant de voir les médailles que portent les militaires sur leurs uniformes de cérémonie. Ça impose le respect. Pour autant, si elles sont méritées, les médailles sont là parce que celui qui les porte est quelqu’un d’important qui a fait des choses importantes. La médaille, toute seule, n’est donc rien. Je pense que c’est la même chose pour le tatouage : peu importe qu’il ait une petite fleur, un lion ou un dragon tatoué sur le corps, ce n’est pas ce qui lui permettra de réussir dans sa carrière criminelle, ni d’éviter la case prison.
Jean Davy, le 17/12/2022
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