« Il est surprenant que l’homme utilise depuis plusieurs siècles des petits papiers dessinés, les billets de banque, comme moyen d’échange.
« Ph. Assalit »
1-J.D, Philippe Assalit, bonjour et bienvenue sur Clicinfospectacles.com, tout d’abord pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
P.A, Bonjour, exercice toujours délicat. Je suis né dans le département du Tarn dans le sud-ouest au pied de la montagne noire. Fils d’ouvrier j’ai connu les joies simples de la nature entre jeux et rêveries. Adolescent je pratique en amateur la musique et compose des textes que je mets en chanson avant de partir faire des études à Toulouse. J’ai fait un premier essai en biologie avant de me réorienter en psychologie, en parallèle, je m’intéresse à l’art et au cinéma que je pratique avec des amis. Aujourd’hui ces études scientifiques et humaines ainsi que mes premières expériences artistiques nourrissent profondément ma démarche. La photographie est arrivée comme un orage, soudainement et avec violence. La nécessité de créer s’est imposée et depuis 35 ans je continue avec constance, joie et curiosité ce parcours qui m’a conduit à exposer mes différentes séries (une cinquantaine de série) en institution (MNAM Paris, Fondations, Grands Palais, CITÉCO) en Galeries, en Europe, en Salons et dans le secteur privé de l’entreprise.
J’ai aussi la chance d’avoir vu mes portraits rejoindre de très belles collections en Europe, Australie, USA
2-J.D Depuis le 7 juin jusqu’au 6 octobre vous exposez à Citéco une sélection de portraits tiré de votre série « Monnaie – Portraits du monde », connaissiez-vous le musée et leur fameuse salle des coffres ?
P.A, Oui et non car j’ai suivi le projet du musée depuis le début j’en connaissais les grandes lignes et m’étais alors rapproché de la première équipe. Car l’Hôtel Gaillard, fut la plus prestigieuse succursale de la Banque de France qui a été un des grands établissements créateurs de billets de banque pour de très nombreux pays. Grâce à Guillaume Lepecq, j’ai pu rencontrer l’équipe et plus spécialement la responsable communication.
Lorsque j’ai eu l’opportunité de visiter ce lieu exceptionnel j’ai pu découvrir la salle historique des coffres qui présente notamment la collection de billets créés par la Banque de France, et ai commencé à rêver d’un accrochage au coeur de CITÉCO.
3-J.D, Pourquoi ce titre « Monnaie – Portraits du monde » ?
P.A, Je travaille par série et je nomme chaque série qui va d’une dizaine d’image à une centaine. J’ai essayé de traduire la démarche en un titre à la fois générique et à plusieurs entrées. La Monnaie cela parle au monde entier, le portrait est un classique dans l’art et associé au monde il nous invite au voyage. Les 3 mots rassemblés évoquent pour moi les grandes questions contemporaines de l ‘économie, des zones monétaires, des cultures mais aussi géographiques, géopolitiques, historiques sans oublier les questions écologiques que l’on retrouve souvent sur les billets et cela de plus en plus et enfin la dimension artistique, le dessin, la gravure que je retrouve sur tous les billets historiques ou contemporains. La photographie et la gravure des billets ont une histoire parallèle.
4-J.D, Combien de portraits sont présentés et comment avez-vous fait votre choix ? Y en a-t-il des inédits ?
P.A, Sur les 50 Pays réalisés, la série est un work in progress, nous présentons à CITÉCO 17 portraits dont 9 en grand format et 8 en moyen format. La sélection est à la fois un mélange de pays liés historiquement à la banque de France (France, Maroc, Madagascar…), un choix de pays désormais dans la zone euro présentés ici avec leurs monnaies d’avant 2000 (Italie, Belgique…) ainsi que des pays des autres continents (Brésil, Japon, Chine, Mexique, USA, Inde …). Une pièce plus particulière représente le « Petit Prince » il s’agit d’un portrait d’enfant portant les dessins du billet de 50 francs dédié à Saint-Exupéry billet réalisé par un immense designer Roger Pfund. Enfin pour une première mondiale est présenté à CITÉCO-Paris le portrait d’Haïti, passerelle entre l’Europe et le continent américain.
5-J.D, Essentiellement des portraits de femmes peu d’hommes, photographiez-vous les deux de la même façon ?
P.A, Non je dois avouer que souvent les portraits d’hommes sont plus « arides » je sais que cela est plutôt « caricatural » mais je crois que c’est surtout une manière pour moi d’explorer diverses voies d’expressions, c’est une façon d’enrichir ma palette, aux hommes la frontalité, une forme d’attitude presque fermée, aux femmes les tenues d’apparat, la sensualité, et le sacré. Tous sont égaux et dignes.
6-J.D Qui sont ces femmes ?
P.A, Et ces hommes ! Elles et ils sont toutes et tous des rencontres, chacun a compris et accepté ma démarche. Ami(e)s d’ami(e)s, connaissances, rencontres fortuites, toutes et tous forment la famille humaine.
7-J.D, Qu’elles soient anonymes était-ce primordial ?
P.A, Oui car même si certaines personnes sont connues voire reconnues dans leur pays, l’idée est d’échapper à toute tentative de « poepolisation » cela infléchirai la lecture du travail le rendant plus distant, je veux cette série à l’image des billets de banque messagers de leur pays mais qui se glissent dans toutes les poches.
8-JD, Le visage de la femme est habillé par des symboles représentants leurs pays, avez-vous fait face à de la censure ?
Non, même lorsque l’histoire s’invite sur un portrait avec des évènements ou des personnages qui parfois ont marqué le pays laissant des cicatrices ou retraçant des moments complexes de tensions ou de bouleversements politiques. Car souvent tout cela est gravé sur les billets historiques que j’utilise forcément
9-J.D, Ces portraits sont à la fois puissant et bienveillant ?
P.A, Vous avez raison c’est très juste cette double perception me fascine. Il me semble que c’est cela le visage de l’humanité. Le mot puissant que vous employez je l’entends ici sous sa forme première c’est à dire une force intérieure de l’être qui vous emporte vous englobe et vous renvoie à votre propre humanité. Chaque portrait vous regarde intensément comme vous le regardez cela crée un échange.
10J.D, – C’est presque une représentation sacrée pour ne pas dire virginale ?
P.A, J’aime les portraits du Fayoun, la question que Giacometti se pose face à l’idée de « Tête » Le décorum, la beauté, le regard offert (car les yeux ne sont jamais couverts), le buste seul représenté de face sans sourire ni mouvement, le visage comme figé et pourtant bien vivant, tout cela rapproche ces portraits des icônes.
11J.D,- Quel est le procédé que vous utilisez ?
P.A, Un procédé on ne peut plus classique. Dans un premier temps je réalise un portrait tout à fait traditionnel type studio (quel que soit le lieu, la situation il faut s’adapter). Le modèle est de face et la relation établie doit le conduire à oublier l’appareil pour « le traverser » et ainsi venir jusqu’à vous c’est cela que l’on ressent dans le regard. Ensuite, vient la période d’étude du pays, son histoire, les grands personnages, le peuple, les particularités, tout détail qui viendra nourrir l’étape suivante. Puis, c’est le moment de la réunion des images des billets de banque du pays qui vont servir au portrait final. Chaque billet ou détail de billet va me servir à composer ici une coiffe, là un bustier, un costume, une broderie, un maquillage, des bijoux, un voile, une dentelle, une couronne…
Interférence, détournement, assemblages, superpositions sont les moyens de mon écriture. « Cette seconde peau » fait naître un nouveau visage, kaléidoscope des cultures et de leurs signes. Ainsi nait le personnage qui pour une période de deux mois en moyenne m’accompagne jusqu’à sa naissance.
12-J.D, Quels sont les nouveaux pays sur lesquels vous travaillez ?
P.A, J’envisage le Cameroun, je n’ai pas encore fais la Suisse et je serai très heureux de travailler l’Australie. L’idée étant de présenter la totalité des pays réalisés pour poursuivre cette aventure commencée il y a 10 ans et faire découvrir ce travail sur tous les continents.
13-J.D, En vous remerciant, en un mot qu’est qui rapproche detoutes ces femmes ?
P.A, À l’image des galeries de portraits du XVI ème de Clouet ou l’art du portrait conduit par Rambrandt c’est les déclinaisons des singularités propres à chaque culture, à chaque individu et à chaque billet, mises en image et en scène toujours renouvelé par mon « pinceau ». Les voici réuni(e)s toutes et tous figures uniques se « donnant la main ».
Jean Davy le 26/05/2024,
propos recueillis pendant l’interview de Philippe Assalit.
pour clicinfospectacles.