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Lionel Crooson, interview

Interview de LIONEL CROOSON pour son livre « HASEKURA »

1- J.D. Lionel Crooson, bonjour et bienvenue sur Clicinfospectacles.fr, tout d’abord pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?L.C. Comment se définir soi-même ? Disons que je suis journaliste, écrivain, spécialiste de l’archipel Nippon et de son histoire, que je partage ma vie entre Paris, la Grèce, l’île de Bornéo et surtout le Japon. La plupart de mes écrits portent d’ailleurs sur ce pays.

2- J.D. Vous venez de publier chez Synchronique Editions « Hasekura, journal d’un samourai au Vatican », quel a été votre toute première rencontre avec ?L.C. La richesse et l’originalité des éditions Synchronique sont bien connues de ceux qui s’intéressent au Japon. Pour moi il était évident de leur soumettre mon manuscrit. Comme ils ont ouvert une librairie près du Panthéon je n’ai eu aucun mal à les rencontrer. Ils n’avaient certes jusque-là pas publié de romans, mais je crois que l’histoire fascinante de Hasekura a immédiatement passionné l’équipe comme elle m’avait passionné moi-même.

3- J.D. Qui était-il ?
L.C. Hasekura a réellement existé. Ce samouraï de province né en 1571 était issu de la petite aristocratie guerrière d’une époque que l’on pourrait encore qualifier de féodale. Il a été remarqué par son maître le seigneur Daté Masamuné (1567-1636) pour ses faits d’armes et la noblesse de ses manières. Promu ambassadeur, Hasekura a été mandaté pour une ultime négociation avec le roi d’Espagne et le Pape avant que le Japon bannisse le christianisme et referme ses portes pour plus de deux siècles.

4- J.D. Existe-t-il des traces historiques qui le racontent ?
L.C. Une trace notable se trouve sur les murs du Palais du Quirinal à Rome. Datée de 1616, elle le représente avec les autres membres de son ambassade lors de son passage dans la cité Papale. Au Japon, le Musée municipal de Sendai possède un ancien portrait espagnol de Hasekura lors de son baptême à Madrid. Les archives françaises ne sont pas en reste avec une description très détaillée de son escale accidentelle dans le port de Saint-Tropez. Enfin de nos jours, quelques 600 Andalous portant le patronyme de Japón seraient, selon la tradition, tous descendants de membres de sa suite restés en Espagne.

5- J.D. Bien plus qu’un roman historique c’est presque une biographie extrêmement documentée ?
L.C. En effet, je me suis fondé sur les documents existants. Mes recherches m’ont fait hanter les bibliothèques et m’ont conduit à me rendre sur les lieus des principales escales de Hasekura et partout où je pouvais me documenter : Séville, Espartinas, Cività Vecchia, Rome et Saint-Tropez pour l’Europe… Sendai, Nagasaki, Hirado, Tanegashima et Murotsu pour le Japon… Les anciens quartiers castillans de Manille pour les Philippines… J’ai aussi navigué sur sa route en mer de Chine entre Manille et Nagasaki. Je me suis conformé au maximum aux faits historiques, à la chronologie de son expédition. Mais il reste bien sûr de nombreuses zones d’ombres, notamment l’absence de femmes dans cette aventure qui a duré sept ans. C’est là qu’est intervenu mon travail de romancier.

6- J.D. Pourquoi ce choix du « Je » ?
L.C. Cet ambassadeur avait rédigé un journal de bord officiel en dix-neuf volumes qui ont hélas disparu au XIXe siècle. Comme il n’est pas interdit de penser qu’il en ait écrit un vingtième, plus intime, à l’usage de ses proches je me suis attelé à en faire une rstitution. L’emploi de la première personne s’est imposé car c’est Hasekura qui raconte sa propre histoire. Mais cela n’allait pas de soi. Regardez-moi ! Je ne suis pas Japonais et encore moins un samouraï de la période d’Edo. Mais au fil du temps, mes voyages, mes lectures, mes recherches et mon expérience du Japon m’ont permis de me mettre dans la peau du personnage comme aiment à le faire certains acteurs.  

7- J.D. Autre personnage, Murasaki son grand amour, a eu une place primordiale pour Hasekura durant toute sa vie ?
L.C. Si je me suis essentiellement fondé sur les documents existants, j’ai, en revanche, du m’en remettre à mon imagination de romancier pour la plupart des personnages féminins, en particulier pour celui de Murasaki. Avec le portrait de cette émouvante courtisane lettrée j’ai pu ainsi décrire la condition des prostituées de haut rang de cette époque, femmes très cultivées, musiciennes et poètes. Dans ce roman l’image de Murasaki ne cesse de veiller Hasekura.

8- J.D. Passionnant dans la description de la société japonaise du XVIIe siècle, sa construction, ses traditions, quelles ont été vos références littéraires et historiques ?
L.C. Je me suis bien gardé de puiser dans la littérature – dite de samouraïs – et les traités de bushidō. Bien que Hasekura fut membre de cette caste guerrière j’ai plutôt pensé à l’auteur de fictions populaires du XVIIe siècle Saikaku, mais aussi à Tanizaki qui vécut trois siècle plus tard. Quant à mes références historiques, la liste serait bien trop longue mais je l’ai faite figurer à la fin de cet ouvrage.

9- J.D. Peut-on dire qu’il a participé à l’implantation du christianisme au Japon même s’il est interdit par la suite ?
L.C. Certains de ses descendants ont été persécutés en tant que chrétiens, ce qui permet de supposer qu’il leur ait transmis son message. Pour le reste, son ambassade de la dernière chance semble n’avoir joué aucun rôle tant elle fut occultée par le pouvoir central.

10- J.D. De nos jours comment est-il perçu dans son pays et d’après vous a-t-il joué un rôle à son retour ?
L.C. Hormis les habitants du nord-est du Japon, la plupart des Nippons ignorent l’odyssée de Hasekura qui, jusque récemment, était reléguée dans les oubliettes de l’histoire.

11- J.D. En vous remerciant, selon vous quel est son héritage, est-il plus spirituel que « institutionnel » ?
L.C. De nos jours son héritage se limite à quelques manifestations folkloriques dans la région de Sendai et en 1993 à la construction d’une réplique de son navire qui fut hélas partiellement détruite par le tsunami de 2011. Je me suis heurté à la faiblesse des sources françaises, anglaises et même japonaises jusqu’à se que je découvre la richesse de la documentation en langue espagnole. On ne peut que s’apitoyer sur le destin tragique de ce samouraï Hasekura qui avait bravé les océans et s’était confronté aux plus grands souverains de son temps pour porter un message de paix dans le vaste monde. Avec ce roman j’espère lui avoir rendu justice.

Propos rapportés par Jean Davy, le 7 octobre 2025 pour clicinfospectacles.fr