1- J.D. Nathalie Fourmy, bonjour et bienvenue sur Clicinfospectacles.fr, tout d’abord pouvez-vous présenter à nos lecteurs ?
N.F. Je salue tous ceux qui nous lisent et suis ravie de leur présenter ma BD.
De racines basques et bretonnes à la fois, j’ai pas mal voyagé dans ma jeunesse, toujours crayons et carnet à la main, et j’ai très tôt cultivé le goût des pays lointains. Lire et écrire des histoires étaient pour moi des hobbies passionnants, spécialement les bandes-dessinées ! Après différents métiers, je suis revenue à ma passion du dessin pour débuter dans l’illustration professionnelle.
2- J.D. A l’occasion des 80 ans de la destruction de Nagasaki, vous venez de publier aux éditions Plein Vent « Nagasaki 1945 », comment êtes vous arrivée sur le projet et qu’est qui vous a intéressée ?
N.F. J’avoue que ce projet, la réalisation d’une première BD, m’est « tombée dessus » à l’improviste et n’était pas du tout prévu ! Je pensais me cantonner à une activité de dessin quand un jour j’ai reçu, après une erreur de commande en ligne, un vieux livre d’occasion intitulé Les Cloches de Nagasaki. Un peu dubitative, je l’ai quand-même ouvert et… ce fut un choc. J’ai découvert le récit bouleversant et authentique du docteur Nagaï et sa femme Midori, tous deux vivant à Nagasaki au moment du deuxième bombardement atomique de l’histoire. Je me suis dit aussitôt « il faut écrire une BD sur ce couple, il faut qu’il soit connu car son message peut redonner espoir à beaucoup de personnes aujourd’hui ».
3- J.D. C’est à travers l’histoire de Takashi et Midori Nagai que vous décidez de raconter cette terrible catastrophe ?
N.F. Je dirai que c’est plutôt en racontant l’histoire de Takashi et Midori que je me suis penchée sur celle de l’explosion nucléaire. Celle-ci prend évidemment une proportion immense dans l’histoire du couple, comme dans celle du Japon et du monde, mais le message de la BD est ailleurs. C’est la transformation d’un jeune médecin balloté par les secousses terribles de la guerre en celui qu’on appelera bientôt le Ghandi Japonais, auprès de qui on viendra chercher -et recevoir- consolation, lumière et espérance pour sa propre vie .
L’horreur qui suivit l’explosion de la bombe est très bien décrite dans ses mémoires, avec ces êtres pulvérisés, ces survivants devenus fous, ces malades incurables, et cette ville engloutie sous les cendres. J’ai essayé de l’évoquer sans voyeurisme dans ma BD, mais les documents consultés pour y arriver étaient d’une violence rare. Et pourtant, même le cataclysme de la bombe nucléaire n’a pu empêcher le docteur de trouver le chemin du bonheur véritable. Au lendemain de cette tragédie, Takashi, malade incurable, est capable de dire : « j’ai retrouvé mon cœur d’enfant, enfin je suis heureux ».
4- J.D. Qui étaient-ils ?
N.F. A la veille de la deuxième guerre mondiale, le docteur Takashi Nagaï était un jeune médecin japonais brillant, chercheur et pionnier en Radiologie, la science de l’atome, autrement dit du nucléaire. D’abord athée quoique de culture religieuse Shinto comme ses parents, il rencontra les descendants des « chrétiens cachés » (voir explication plus bas) à Nagasaki et se convertit au catholicisme. Il épousa une courageuse petite institutrice de campagne avec qui il essaiera de fonder un foyer heureux malgré les guerres qui se succèdent, jusqu’à l’explosion terrible de la 2ème bombe atomique de l’histoire, sur la ville de Nagasaki. Le récit de leur vie fera le tour du monde dans les années cinquante, grâce à l’essai autobiographique de Takashi, Les Cloches de Nagasaki. Le docteur y explique comment il survécut au bombardement nucléaire alors qu’il se trouvait à l’hôpital universitaire de Nagasaki, à 700m de l’hypocentre, et comment il vint en aide aux victimes avec l’aide de quelques survivants. Malade, Takashi continuera d’aider les victimes de la bombe en écrivant pour les faire connaître et pour promouvoir la paix. Beaucoup de personnes, inspirées par son témoignage, viendront lui demander conseil au lendemain de la guerre, pour retrouver la force d’être heureux.
5- J.D. Il a eu une vie incroyable et pas toujours très joyeuse ?
N.F. Effectivement, les épreuves ne vont pas épargner Takashi, envoyé plusieurs fois sur le front chinois, ni Midori qui devra gérer souvent seule le foyer en l’absence de son époux, alors que la misère s’étend au Japon, conséquence inévitable de la guerre. L’annonce de la maladie incurable de Takashi, due à ses recherches sur les radiations nucléaires sera sans doute la plus grande épreuve du couple, juste avant l’explosion atomique le 9 août 1945. Et pourtant, de manière un peu provocante, je dirai que leur vie, bien que douloureuse, ne fut pas triste. S’ils traversèrent des moments de grande tristesse, ils surent toujours garder une joie de vivre plus profonde encore.
6- J.D. En France ils sont presque des inconnus, sur quoi vous êtes vous appuyé pour les raconter ?
N.F. Quand j’ai commencé à travailler sur le scenario de cette BD, il y avait très peu de livres traduits en français concernant ce sujet. Les Cloches de Nagasaki en faisaient partie mais ne suffisaient pas à élaborer le scenario d’une vie. Deux « spécialistes » du docteur Nagaï contactées par mes soins, l’une française et l’autre japonaise ont relu et corrigé mon travail, pour m’aider à donner un aperçu juste de ces personnages historiques. Avec l’aide d’un petit comité d’amis japonais, nous avons aussi consulté des écrits de Takashi Nagaï venus directement du Japon. Ce fut un gros travail. Depuis, de nouvelles traductions ont été publiées en France, comme Ce qui ne peut mourir (éditions CHORA) qu’on peut commander en librairie.
7- J.D. Ce qui peut être étonnant à la lecture de leur histoire, c’est cette omniprésence du christianisme dans un pays comme le Japon ?
N.F. Le christianisme a été présent dans l’archipel nippon depuis le XVIe siècle, et de manière particulièrement forte à Nagasaki. La raison en est simple : en 1549, trois ans après la découverte du Japon par des navigateurs portugais, le prêtre jésuite Saint François-Xavier débarqua à Kagoshima pour y évangéliser les habitants. Un seigneur local converti au christianisme offrit aux jésuites de s’installer et de gérer l’activité du petit port de Nagasaki qui n’était à cette époque qu’un simple village de pêcheurs. Celui-ci se transforma en une ville florissante et magnifique, qu’on surnomma la ville de Beauté. Le pays était pourtant dans une instabilité permanente ponctuée de guerres civiles, depuis que les seigneurs de guerre se disputaient la gouvernance du Japon. Juste avant la fermeture complète du pays aux étrangers, une vague de persécutions à l’encontre des chrétiens autochtones déferla sur le Pays, et notamment à Nagasaki, où un grand nombre furent poursuivis et executés. Près de 3 siècles plus tard, l’Ere Meiji marque la réouverture du Japon au commerce étranger et le retour des chrétiens japonais survivants, les « Krishitan » (chrétiens cachés) qui construisirent une église à Nagasaki, là-même où ils avaient été persécutés. Au début du XXème siècle, quand le jeune Takashi vint étudier à l’université de Médecine de Nagasaki, le christianisme était imprégné dans la culture locale depuis plusieurs siècles déjà.
8- J.D. Et du côté de l’église
N.F. Du côté de l’Eglise, un procès en béatification est en cours pour Takashi et Midori Nagaï, c’est-à-dire la reconnaissance publique d’une existence où la foi, l’espérance et la charité envers Dieu et son prochain ont été vécues de manière héroïque. L’aboutissement d’un procès en béatification n’est pas gagné d’avance, mais pour un couple japonais presque contemporain, ce serait une première dans l’Eglise catholique et un bel hommage !
9- J.D. Selon vous son héritage spirituel est-il aussi important que son héritage de chercheur ? Et peuvent-ils être dissociable l’un de l’autre ?
N.F. Le docteur Nagaï était renommé dans son domaine, expert et pionnier en radiologie, discipline complètement inconnue et marginalisée au Japon avant lui. Les résultats de ses recherches lui permirent de détecter et de soigner à temps de nombreux patients atteints de tuberculose. Mais à la même époque, les USA, beaucoup plus avancés, maîtrisaient déjà secrètement le principe de la bombe atomique : la scission de l’atome. En tant que chercheur, Takashi ne put s’empêcher de saluer cette performance avec admiration. Il ne séparait pas le résultat de ses recherches de sa Foi. En tant que médecin, ses recherches étaient orientées vers la protection et le soin des vies humaines. Tout ce qu’il découvrait dans son laboratoire l’émerveillait et était pour lui le fruit d’une volonté plus grande que la sienne. Ses réflexions sur la vie eurent un retentissement bien plus grand que ses recherches, aussi reconnues soient-elles à l’époque. Tout simplement parce qu’il n’est pas nécessaire de maîtriser la science de l’atome pour apprécier les valeurs profondément humaines et universelles dont Takashi Nagaï témoigne de façon lumineuse dans ses livres. Et heureusement !
10- J.D. En vous remerciant, d’après vous quel serai son message au monde d’aujourd’hui ?
N.F. La Paix, l’urgence d’une véritable Paix ! Et ne pas désespérer des pires épreuves. Le chemin du bonheur est souvent rude mais il est simple ; et il nous attend.
Propos rapporté par Jean Davy, le 17 septembre 2025 pour clicinfospectacles