pour son livre » LE DICO DES SUPER SEROS »
1- J.D. Nicolas Aragona, bonjour et bienvenue sur Clicinfospectacles.fr. Pour commencer, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
N.A. Bonjour, et merci de me recevoir. Je m’appelle Nicolas Aragona, ou SuperSero sur les réseaux sociaux. Mon engagement porte sur la visibilité des personnes vivant avec le VIH dans la culture populaire et sur la lutte contre la sérophobie.
2- J.D. Vous êtes l’auteur du Dico des Super Séros publié chez Améthyste Éditions. Comment est né ce projet ?
N.A. C’est un projet qui n’aurait jamais existé sans mon agent, Caroline Frisou. Elle m’a poussé à écrire, alors que je n’en aurais pas eu l’idée, étant dyslexie je pensais l’écriture hors de portée. En fait, il m’a fallu une caroline frisou et un bon correcteur orthographique, et j’ai pu me lancer.
3- J.D. Pourquoi ce titre, Le Dico des Super Séros?
N.A. Parce que la matière est vaste, multiple, complexe. Il y avait tant de sujets à explorer qu’un format fragmenté s’est imposé naturellement. Cette forme m’a offert une liberté de ton, me permettant d’aborder à la fois le scientifique, l’épidémiologique, le sémantique, l’historique, le politique ou encore le décalé. Je me suis aussi inspiré du Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis de Desproges. Ce qui m’importe avant tout, c’est de proposer un regard différent, presque impertinent, sur une thématique trop souvent figée dans la gravité.
4- J.D. Comment avez-vous choisi les mots de chaque lettre ?
N.A. Cela a été avant tout un travail collectif avec la maison d’édition. Ensemble, nous avons cherché à structurer le contenu pour offrir au lecteur une lecture fluide, qu’elle soit linéaire ou au gré de ses curiosités. Ce fut davantage un exercice d’architecture éditoriale que de création.
5- J.D. Vous êtes-vous inspiré de votre propre expérience pour écrire ce livre ?
N.A. Oui, bien sûr. Mais ce sont surtout les témoignages des autres qui m’ont beaucoup apporté. Grâce aux réseaux sociaux, j’ai pu briser dix ans de solitude et échanger avec beaucoup d’autres personnes vivant avec le VIH. Leurs vécus, leurs parcours très différents m’ont énormément appris et nourri ce livre.
6- J.D. Quarante ans après l’apparition du virus, la perception a-t-elle changé selon vous ?
N.A. Malheureusement, pas tellement. Les discours sont devenus plus stéréotypés, parfois même plus clivants. Comme pour d’autres crises sanitaires, on instrumentalise souvent l’épidémie pour juger son voisin et se donner bonne conscience. Le fond du problème demeure inchangé.
7- J.D. La communauté LGBTQ+ perçoit-elle le VIH différemment aujourd’hui ?
A.N. Tout dépend de ce que l’on désigne par « communauté ». Dans le milieu gay, les réactions oscillent encore entre rejet et fétichisation. J’ai même entendu un jour : « Je ne couche qu’avec des séropos, comme ça je n’ai pas besoin de capote puisque vous êtes traités. » C’est une autre forme de discrimination. En revanche, au sein des sphères queer, notamment celles qui s’organisent via les réseaux sociaux, un véritable travail intersectionnel est mené. Là, les discours cherchent à déconstruire les préjugés et à comprendre les réalités concrètes.
8- J.D. Pourquoi y a-t-il encore autant de fausses idées ? Quelle est la plus tenace ?
A.N. Parce qu’on ne les a jamais réellement déconstruites. Bien souvent, des simplifications abusives ont été relayées, parfois même dans un souci « pédagogique ». Et les médias, en quête de sensationnalisme, ont contribué à diaboliser le sujet. Ce n’est pas forcément délibéré, mais tant que nous restons invisibles, les fantasmes perdurent.
9- J.D. Votre livre s’adresse-t-il aux personnes concernées ou aussi à leur entourage ?
A.N. Absolument. Déjà, il faut rappeler une chose essentielle : nous ne sommes pas « malades », nous vivons avec une infection chronique. Le traitement empêche l’apparition de la phase maladie qu’est le sida. Le véritable danger, ce n’est pas le VIH, c’est la sérophobie. Ce sont les préjugés qui tuent. Nous sommes dépistés, nous participons activement à stopper l’épidémie. C’est un travail collectif qui exige une véritable entraide sanitaire, concernés et alliés.
10- J.D. Où en est la situation des contaminations en France aujourd’hui ? Et ailleurs dans le monde ?
A.N. En France, les dernières données évoquent environ 4000 nouvelles contaminations par an. Mais la véritable question est ailleurs : comment expliquer qu’en 2025, 700 000 personnes meurent encore chaque année du sida alors qu’il existe un traitement permettant de vivre toute une vie avec le VIH ? Comment comprendre que la suppression des financements américains sous Trump va provoquer 4 millions de morts supplémentaires en quatre ans, dans l’indifférence générale ? La réponse tient encore à la sérophobie. Car dans l’imaginaire collectif, le VIH reste associé aux travailleurs du sexe, aux gays, aux usagers de drogue, aux trans, aux personnes racisées — toutes les minorités aujourd’hui violemment attaquées. Et paradoxalement, les premières victimes restent les femmes et les enfants, qui représentent 57% des PvVIHs.
11- J.D. Comment voyez-vous l’avenir ?
A.N. Avec une lucidité teintée d’inquiétude. Oui, il y a des avancées extraordinaires en cours, des traitements préventifs révolutionnaires comme le lenacapavir, des perspectives médicales qui donnent de l’espoir. Mais l’histoire nous a appris que même après l’arrivée des trithérapies en 1996, des dizaines de millions de morts ont suivi. Le véritable enjeu n’est pas tant de trouver les traitements que de les rendre accessibles à tous. On nous promettait l’accès universel aux soins en 2000. Vingt-cinq ans plus tard, le monde s’en éloigne chaque jour un peu plus
Propos rapporté par Jean Davy, le 16 Juin 2025 pour clicinfospectacles