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Roger Seiter, interview

Pour la sortie du livre LEAVE THEM ALONE

1- J.D. Roger Seiter, bonjour et bienvenue sur Clicinfospectacles.fr, auteur de « Le Franc », « Fog » ou « Alix » on ne vous présente plus, votre toute dernière BD « Leave Them Alone » vient de sortir chez Grand Angle, vous nous plongez dans l’Ouest Américain, et ce n’est pas la première fois, qu’est qui vous intéresse dans le western ?

R.S. Bonjour. Mon goût pour le western remonte à très longtemps. A mes jeux d’enfant, aux films de John Ford et John Wayne, à certaines séries télé de l’époque. Plus tard, comme beaucoup de gens, je me suis passionné par le western italien, puis pour les films de Clint Eastwood. Mais je me souviens aussi de films qui avaient déjà une approche différente du western. Une approche plus réaliste, comme Soldat Bleu (1970) ou Major Dundee (Sam Peckinpah en 1965) ou une approche plus humaniste avec le formidable Little Big Man (Arthur Penn en 1970). Bref, la liste serait longue à dresser. Puis il y a eu le renouveau du western depuis le début des années 2000 avec notamment la série Deadwood, les films de Tarantino ou encore les Frères Sister de Jacques Audiard.

 Bien sûr, durant ces années, comme beaucoup de lecteurs, je me suis également passionné pour le western en BD, avec les chefs-d’œuvre que sont Blueberry ou Comanche. Bref, le western a toujours été présent dans ma vie et mes loisirs. Sans doute parce que le western est un extraordinaire mélange de genres. C’est à la fois de l’aventure épique, de l’exotisme, du dépaysement, l’histoire de l’Amérique et très souvent de formidables aventures humaines.

2- J.D. A cette occasion avez-vous redécouvert différemment cet univers ?

R.S. Cela fait déjà quelques années que je travaille sur le thème du western (Wild River avec Vincent Wagner, L’or de Morrison et Stagecoach avec Daniel Brecht, Ghost Ship et Lawmen 1 et 2 avec Fabrice Le Hénanff ). Dans tous ces ouvrages, j’ai essayé d’aborder l’univers du western de manière un peu différente. J’ai eu la chance, il y a une dizaine d’années, de faire un voyage de trois semaines dans l’ouest américain. A cette occasion, j’ai découvert les canyons de L’Arizona, les forêts de séquoias de Californie, les villages anasazi du Nouveau Mexique ou les montagnes du Colorado. A l’issu d’un tel périple, un scénariste a forcément envie de faire du western. Et il est vrai que Leave Them Alone est un peu un concentré de tout ça. Par rapport à mes travaux précédents, j’ai l’impression que cet album est plus mature, plus abouti. Cela vient probablement du travail commun et de mes échanges avec Chris Regnault. Leave Them Alone n’est pas qu’un album d’aventures. C’est un ouvrage beaucoup plus complet, plus complexe …

3- J.D. Vous dépeignez une société violente, cruelle, agressive ?

R.S. Après la guerre de Sécession, l’ouest américain est clairement une zone de non droits. Il y a bien des shérifs dans les villes et des marshals dans les comtés. Mais ce sont très souvent des hommes aux compétences limitées et surtout, il n’y a pratiquement pas d’autorité fédérale. Dans ces conditions, c’est la loi du plus fort qui l’emporte. Les règles sont imposées par celui qui tire le plus vite, celui qui cogne le plus fort ou celui qui a le moins de scrupules. Les hors la loi imposent leurs règles et font ce qu’ils veulent. Et pas question pour les gens ordinaires de s’opposer aux outlaws. Sauf s’ils sont lassés de vivre …

4- J.D. Et plus particulièrement envers les femmes ?

R.S. Il faut savoir qu’au moment de la conquête de l’ouest, il y a beaucoup plus d’hommes que de femmes dans les nouveaux territoires. Du coup, les conditions de vie des femmes sont difficiles. Mariées, elles sont entièrement dépendantes de leurs maris. Célibataires, elles deviennent des proies faciles. Ce sujet a été traité dans « The Homesman », un film de Tommy Lee Jones sorti en 2014. Ce film fait d’ailleurs partie des sources d’inspiration de Leave Them Alone.

  Les femmes de l’ouest ont peu de moyens pour gagner leur vie. Pour celles qui n’ont pas voulu ou qui n’ont pas réussi à trouver un mari, les rares professions possibles sont l’enseignement ou travailler dans les saloons. Serveuse de saloons ne consiste pas seulement à servir des bières aux cowboys solitaires. Elles assurent également des spectacles de danse et éventuellement des prestations sexuelles tarifées. En raison du manque de femmes, cette prostitution est indispensable à la paix sociale. Tout le monde en est conscient et les prostituées bénéficient même d’un certain respect. Il n’était pas rare de voir une de ces dames finalement épouser un honnête citoyen et fonder une famille.

5- J.D. Cette période de l’histoire américaine est elle documentée et vous êtes vous appuyé dessus ?

R.S. Je suis historien de formation. Pour moi, le contexte et la vérité historique sont importants. Pour une période historique comme le western, j’essaye dans la mesure du possible d’éviter les anachronismes. C’est d’ailleurs la démarche que l’on constate au cinéma dans le western contemporain. Se documenter et veiller à la véracité n’est pas difficile. C’est juste un peu de travail. Même si ce n’est pas le sujet de l’album, respecter le contexte historique n’est pas compliqué. Et c’est clairement un plus pour les lecteurs. Dans Leave Them Alone par exemple, le fonctionnement de la stagecoach inn et les choix des armes des protagonistes sont documentés.

6- J.D. Qui sont vos différents personnages et comment les avez-vous travaillés ?

R.S. Leave Them Alone est clairement l’histoire de quatre femmes et d’un homme. Seules Marian, Elfie et Marian sont vivantes. Ellen n’est présente qu’en filigrane. Son corps repose dans une tombe. Mais tout le récit repose sur le drame qui a marqué son existence. Même si elle ne peut plus directement influencer les évènements, Ellen est le personnage le plus important de cette histoire. Et toutes ces femmes sont confrontées à la violence, la perfidie et la cupidité des hommes qui les entourent. Ce qui est intéressant avec les personnages de Marian, Matty et Elfie, c’est que ce sont des femmes d’âges différents. Elfie est une toute jeune fille qui découvre la vie. Mattie est une jeune femme pleine de vie et Marian est au crépuscule de son existence. Elles voient forcément les choses différemment. Mais elles savent unir leurs forces pour faire face et se battre pour sauver leur existence.

Quant à Lew, c’est un homme plein de contradictions. Amoureux fou de sa femme, mais prêt à sacrifier sa vie de famille pour une vaine vengeance. Un homme qui prêt à risquer sa vie pour faire triompher la justice, mais pas forcément respectueux des lois.

7- J.D. Comment s’est passé votre collaboration avec Chris Regnault ?

R.S. Très très bien. Je ne connaissais pas Chris quand je l’ai contacté pour lui proposer le projet. Je ne connaissais que son travail graphique, que je trouvais magnifique. J’ai vite compris que Chris était plus qu’en dessinateur de talent. C’est un véritable auteur. Il s’est très vite emparé de l’histoire pour faire des propositions. C’est Chris qui est partiellement à l’origine de la « féminisation » du récit. Nous avons pris le temps et beaucoup discuté pour faire évoluer l’histoire. Quand j’ai proposé le projet à Chris, celui-ci était déjà accepté par l’éditeur et entièrement découpé et dialogué. Au départ, l’album était prévu en 54 planches. Il s’agissait d’un western assez classique, mais que j’avais envie de faire évoluer. Suite au travail avec Chris, la pagination est montée à 160 planches et j’ai repris l’écriture et les dialogues de l’album pour aboutir au résultat actuel. Ma collaboration avec Chris a donc été déterminante dans ce projet.

8- J.D. Vous avez ensemble donné un coté très production à la Sergio Leone comme « Le bon, la brute et le truand » ou  « Et pour quelques dollars de plus »?

R.S. On peut dire ça. Mais les influences sont multiples. Il y a aussi du Clint Eastwood, du Tarantino, du Sam Peckinpah, du Jacques Audiard ou l’ambiance de la série Deadwood de David Milch.

9- J.D. En vous remerciant, on a l’impression que ce cri « Laissez-les tranquilles » n’a jamais été aussi actuel ?

R.S. Absolument. C’est d’ailleurs l’idée : utiliser un récit de fiction dont l’action se déroule dans le passé pour dénoncer une situation contemporaine. Un des constats actuels est que les sociétés occidentales sont de plus en plus violentes. Et comme dans Leave Them Alone, la situation des femmes est de plus en plus préoccupante, entre violences conjugales et agressions sexuelles dans les lieux publics. Bien sûr, dans nos sociétés, les agresseurs ne portent pas tous des revolvers à la ceinture, mais un simple couteau de cuisine suffit pour terroriser une personne ou prendre une vie. Et si les trésors sont rarement transportés dans des malles, certains n’hésitent pas à se servir directement dans les vitrines des musées.

Propos rapporté par Jean Davy, le 22 octobre 2025, pour clicinfospectacles.fr