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Sylvie Brely et Elisabeth Caude interview

Interview de Sylvie Brely

1- J.D. Sylvie Brely bonjour et bienvenue sur Clicinfospectacles.fr, tout d’abord pouvez-vous présenter à nos lecteurs ?

S.B. Bonjour Clicinfospectacles, je suis la directrice et fondatrice de l’association La Nouvelle Athènes centre des pianos romantiques, fondée en 2018 avec plusieurs pianistes, clavecinistes, restaurateurs et collectionneurs de pianos d’époque romantiques. Nous souhaitions créer une collection d’instruments accessible aux jeunes claviéristes désireux de découvrir la richesse et la diversité des pianos romantiques. Nous avons acquis et fait restaurer un piano carré Erard 1806 par le plus grand maître d’art Christopher Clarke et acheté un piano viennois Streicher 1847 restauré par Edwin Beunk. Nous avons mis en place plus de 15 ateliers de formation en 7 ans et initié près de 250 jeunes musiciens.

2- J.D. Directrice de la Nouvelle Athènes à l’occasion de la saison 2025-2026, vous vous êtes associé au Château de Malmaison, pourquoi ce partenariat ?

S.B. Après un partenariat avec l’exposition Paris romantique 1815- 1848 au musée du Petit Palais en 2019 et des concerts parisiens à la Salle Cortot, nous nous sommes tournés vers le Château de Malmaison qui fut un des hauts-lieux du premier romantisme français. En effet, Joséphine de Beauharnais et sa fille Hortense ont tenu un salon musical de très grande qualité. Le salon de musique présente aujourd’hui la harpe Cousineau de l’impératrice et le piano carré Erard 1812 de la reine.  Nous avons noué un partenariat culturel avec le musée national des Châteaux de Malmaison et de Bois-Préau dirigé par la conservatrice Elisabeth Caude. Nous présentons une saison de concerts mensuels ainsi qu’un Festival thématique à la Pentecôte depuis 2023.

3- J.D. La saison 2025-2026 de la Nouvelle Athènes va proposer toute une programmation autour des « Premiers Romantiques », qu’est qui vous a intéressé ?

S.B. Depuis la création de La Nouvelle Athènes, nous essayons avec les artistes fondateurs Luca Montebugnoli , Aline Zylberajch puis Eloy Orzaiz de faire connaître la singularité du répertoire des premiers romantiques français trop souvent oubliés face à la trinité viennoise de Haydn, Mozart, Beethoven… Paris était la capitale des arts au début du XIXe siècle, Beethoven voulait y faire carrière et était fasciné par l’esthétique française incarnée par la facture française de Sébastien Erard et son invention des pédales ainsi que l’art de toucher le piano, notamment le son continu ou tremendo, l’usage des pédales de Louis Adam, professeur au Conservatoire de Paris et auteur de la méthode de piano du conservatoire. L’esthétique française se distingue de l’esthétique viennoise par le goût de la résonance, de l’expression des sentiments et la recherche de couleurs pour dépeindre les sensations. Les 4 pédales de Luth, Levée des étouffoirs, Voix Céleste et basson sont des outils précieux pour créer des atmosphères qui hypnotisent les publics. Vous pouvez écouter le ranz des vaches de Louis Adam, composé d’après un chant suisse annoté par Jean-Jacques Rousseau qui l’illustre de manière éloquente, interprété par Luca Montebugnoli.

Ce partenariat culturel permet de présenter de jeunes lauréats de nos ateliers de formation dédié à l’esthétique du premier romantisme français autour du piano carré Erard 1806 et d’autres artistes confirmés spécialistes de cette période. Ceci permet ainsi de faire connaître les romances de Hortense et de ses contemporains Garat, Sophie Gael, Spontini…, les pièces des compositrices parisiennes telles que Hélène de Montgeroult ou Marie Bigot, des auteurs tels que Hyacinthe et Louis-Emmanuel Jadin, Ferdinand Herold, Louis Adam, Daniel Steibelt, Etienne Nicolas Méhul et des compositeurs italiens très appréciés de la cour impériale Giovanni Paisiello, Ferdinando Paer, Vicenzo Bellini, Gaspare Spontini…

4- J.D. L’une de ces premières romantiques est sans conteste Hortense de Beauharnais, qui était-elle ?

S.B. Hortense de Beauharnais (1783 – 1837), fille de l’impératrice Joséphine et mère du futur Napoléon III, reçut une éducation chez Mme Campan à Saint Germain-en-Laye, tout proche de Malmaison avec une formation musicale particulièrement développée à partir de 1795, avec plusieurs maîtres de musique Charles Henri Plantade et Narcisse Carbonel.

En échangeant avec les conservateurs du Château de Malmaison – Mme Elisabeth Caude et Mr Vincent Hadot – nous avons pris conscience du rôle éminent de la reine Hortense dans l’animation des soirées musicales à Malmaison et avons consulté ses albums de romances conservés dans la bibliothèque du Château.

5- J.D. Reine et duchesse, était ce courant à l’époque pour une telle personnalité d’être compositrice ?

S.B. Il était tout à fait courant que les jeunes aristocrates aient une éducation musicale poussée telles Joséphine, Marie-Antoinette qui furent des harpistes de qualité ou Louis XIV qui jouait de la guitare et du luth et dansait. Ce qui distingue Hortense est sa qualité de compositrice. La musique était pour être une manière d’exprimer ses émotions tel que l’on écrirait une lettre aux personnes qui vous sont proches. Ainsi compose-t-elle des romances destinées à son frère le Prince Eugène pendant la campagne de Russie, elle avait aussi le goût de créer les textes de ses romances en les échangeant avec ses amis… C’était un mode d’expression.

6- J.D. Nous est il parvenu l’ensemble de son œuvre ?

S.B. Plusieurs albums dédiés à son frère le Prince Eugène, vice-roi d’Italie ou à sa cousine Stéphanie se trouvent dans la bibliothèque du château de Malmaison. La musicologue Annelies Andries de l’université d’Utrecht est en train d’explorer l’ensemble des archives.

7- J.D. Le sous titre du très beau enregistrement sorti aux Editions Paraty « Compositrice et son temps » pourrait presque être remplacé par « de son temps » ?

S.B. Oui, avec les artistes, nous avons souhaité montrer d’une part le rayonnement des romances de la reine Hortense auprès de compositeurs de premier plan qui ont composé des variations ou des pots-pourris tels que Franz Schubert ou Johann Nepomuk Hummel, Carlo Giuliani… et d’autre part, nous avons présenté les artistes qu’Hortense appréciait et qui marquait l’esthétique de son temps : Louis Adam et Hélène de Montgeroult les 2 professeurs du Conservatoire, George Onslow, Jan Ladislav Dussek, Dominique-Pierre-jean Garat chanteur et compositeur de romances, les compositeurs italiens Giovanni Paisiello, Ferdinando Paer, Vincenzo Bellini…

8- J.D. Justement selon vous que nous dit-elle de son temps ?

S.B. C’est un moment de l’histoire de la musique dans le sillage de l’influence de Jean-Jacques Rousseau où l’expression des sentiments prime, on ne décrit pas la nature ou les caractères mais où l’on peint en musique les sentiments que provoquent en nous la contemplation de la nature ou les situations tragiques du destin telles les guerres, les tempêtes. La musique devient très personnelle et intime. Elle permet de transcender et partager ces expériences.

9- J.D. En vous remerciant, d’après vous qu’a-t-elle apporté aux « Premiers Romantiques » ?

S.B. La reine Hortense par son talent de compositrice a conversé avec les premiers romantiques, elle a partagé leurs passions, elle les a fréquenté et aussi soutenus en tant que mécène et reine.

Interview de Elisabeth Caude

  1. D. Elisabeth Caude, bonjour et bienvenue sur Clicinfospectacles.fr. Tout d’abord, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

E.C. Je suis Elisabeth Caude, conservatrice générale du patrimoine et directrice du service à compétence nationale des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau, des musées de l’île d’Aix et de la Maison Bonaparte à Ajaccio.

  1. D. Cette année, le château de Malmaison s’est associé à La Nouvelle Athènes pour sa programmation autour des « Premiers romantiques » et plus particulièrement autour d’Hortense de Beauharnais. Quel lien existe-t-il entre les deux ?

E.C. Cela fait maintenant trois ans que le musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau collabore avec La Nouvelle Athènes pour une programmation musicale historiquement informée. Ce partenariat propose, d’une part, des concerts mensuels le dimanche à l’heure du déjeuner et, d’autre part, un Festival à la Pentecôte qui se déroule sur quatre jours à l’Orangerie de Bois-Préau. C’est ainsi que nous avons exploré la musique au salon de l’impératrice Joséphine, puis les compositions et romances d’Hortense de Beauharnais, la fille de Joséphine, qui fut également reine de Hollande. L’année dernière, au printemps 2025, la programmation du festival faisait écho à l’exposition consacrée au peintre Andréa Appiani, un hommage à la musique italienne et aux relations musicales entre la France et l’Italie.

  1. D. Qu’est-ce que cela signifie être « romantique » à l’époque ?

E.C. À l’époque de l’Empire, qui est celle que nous évoquons ici au château de Malmaison, il n’existe pas encore de « romantisme » tel que nous le définissons aujourd’hui. Cependant, on observe déjà un sentiment pré-romantique qui s’exprime notamment à travers les romances composées par la reine Hortense. Ces pièces témoignent d’un profond élan émotionnel, préfigurant ce qui deviendra plus tard le mouvement romantique.

  1. D. Quel regard portez-vous sur Hortense de Beauharnais ?

E.C. Hortense de Beauharnais, fille de l’impératrice Joséphine, est une figure marquante de son époque et une personnalité de premier plan au sein du cercle de la cour impériale. Elle est aussi une figure essentielle pour le château de Malmaison, car ce dernier conserve de nombreux souvenirs liés à elle et à son frère, le prince Eugène. Hortense a des liens très forts avec Malmaison, et sa vie et son œuvre témoignent d’une époque et d’un héritage fascinants.

  1. D. L’hommage s’articule autour de sept concerts programmés le dimanche, à l’heure du déjeuner. Comment avez-vous sélectionné les compositions présentées ?

E.C. Le thème du Festival de Pentecôte est en lien avec l’exposition du moment. L’année prochaine, par exemple, la nature sera mise à l’honneur. Ce choix thématique se fait en concertation avec La Nouvelle Athènes, qui élabore la programmation musicale en fonction des sujets abordés, mais aussi de l’histoire du lieu et des grandes figures musicales de l’époque. Pour les concerts du dimanche, la programmation est également définie en collaboration avec le musée, afin de garantir une fidélité historique et artistique.

  1. D. Y a-t-il des compositions inédites dans cette programmation ?

E.C. Oui, en effet. Parmi les propositions musicales de La Nouvelle Athènes, il y a des pièces qui n’ont jamais été jouées ou qui étaient tombées dans l’oubli. Cela fait partie de notre démarche de mettre en lumière des œuvres rares, voire inédites, afin de les faire découvrir au public. C’est un aspect important de notre collaboration : offrir une expérience musicale authentique et historique.

  1. D. Vous avez choisi d’utiliser des instruments d’époque pour restituer les sonorités de l’époque. Quelles ont été les contraintes liées à cette démarche ?

E.C. Cette question relève plutôt du domaine de La Nouvelle Athènes, qui a restauré de manière remarquable le piano Erard de 1806, instrument sur lequel les artistes jouent. Cette restauration a permis de retrouver des sonorités qui étaient perdues et de proposer une expérience authentique. Les contraintes principales étaient de préserver l’intégrité de l’instrument tout en le rendant à nouveau fonctionnel. Cela représente un défi technique, mais également artistique, car chaque instrument d’époque possède une acoustique particulière qui nous rapproche de l’atmosphère de l’époque.

  1. D. Justement, comment décririez-vous ces « sonorités » ?

E.C. Les sonorités produites par le piano Erard de 1806 sont d’une grande finesse et possèdent une clarté cristalline absolument remarquable. Ce type d’instrument permet de dévoiler une grande diversité sonore, avec une texture acoustique très délicate, presque éthérée. Chaque note résonne avec une pureté qui transporte le publicdirectement dans l’atmosphère de l’époque, permettant de vivre une véritable immersion historique.

  1. D. En vous remerciant, selon vous, quel héritage Hortense de Beauharnais laisse-t-elle ?

E.C. L’héritage d’Hortense de Beauharnais est multiple et essentiel. Entendre de la musique de l’époque, jouée sur des instruments d’époque, interprétée par des musiciens formés historiquement, permet de revivre une expérience sonore authentique et d’être plongé dans l’atmosphère de l’époque, en particulier dans un cadre historique comme celui du château de Malmaison. Cette démarche vise à offrir au public une expérience globale, alliant histoire, musique et patrimoine. L’héritage de Hortense, à travers sa musique et son rôle dans la société de son époque, continue donc de résonner avec force aujourd’hui, tant sur le plan artistique que culturel.

Propos rapportés par Jean Davy, le 7 octobre 2025, pour clicinfospectacles.fr