Accueil

Tito Clément, Interview

1- J.D. Tito Clément, bonjour et bienvenue sur Clicinfospectacles.fr, tout d’abord pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

T.C. Bonjour, je suis chanteur de formation. Après avoir pris des cours, j’ai intégré diverses formations, orchestres de bal, groupes de piano-bars, troupe locale pour une adaptation de Starmania, ainsi que des animations en solo dans des restaurants, casinos, soirées privées… En 2003, j’ai participé aux « Rencontres d’Astaffort », stage d’écriture de chansons présidé par Francis Cabrel. J’ai autoproduit mon album, « Ce que je suis… » en 2009.

En 2014, j’ai eu l’idée d’un spectacle dans lequel je raconterais l’histoire mythique de l’Olympia au travers d’anecdotes et de chansons. Après 8 années d’investigations, de recherches et de rencontres, me voilà donc comédien, par la force des choses, depuis que ce spectacle s’est imposé dans ma vie.

2- J.D. Vous serez sur la scène du Théâtre Le Funambule à partir du 11 juillet jusqu’au 31 août avec « Mémoire(s) de l’Olympia », quel en a été le point de départ ?

T.C. Le déclencheur fut un rêve.

J’avais le privilège d’être ami avec Jean-Michel Boris, ancien directeur de l’Olympia et neveu de Bruno Coquatrix. Il était une véritable encyclopédie. J’adorais passer du temps avec lui, quand il me racontait ses moments vécus dans ce temple du Music-Hall où il a passé 47 ans.

Une nuit de juillet 2014, je rêve que je suis sur une scène, à priori l’Olympia (du moins l’idée que je m’en fais). Je viens de terminer une chanson, la dernière note de l’orchestre raisonne, les lumières s’allument et le public applaudit. Je me retourne, et là, à côté de moi se tient Jean-Michel Boris. Puis je me réveille. Je décide alors de ne pas me rendormir et de tirer le fil de ce rêve. Il est donc devenu une idée, puis un projet, et maintenant un spectacle.

3- J.D. Pourquoi ce titre « Mémoire(s) de l’Olympia » ?

T.C. Mon objectif premier était de rendre hommage à Jean-Michel Boris.

Je l’ai rencontré en 2008, je faisais alors un peu de radio à Marseille. Il avait accepté de faire une chronique par téléphone dans l’émission que je coanimait tous les mercredis soir. Il racontait, durant une vingtaine de minutes, des anecdotes autour d’un artiste à l’Olympia. Au fil des semaines, nous avons sympathisés, puis nous avons passés des après-midis autour d’un verre (sans alcool). Lorsque j’ai eu l’idée de ce spectacle, étant donné qu’il représentait pour moi LA mémoire de l’Olympia, le titre est venu tout seul. Puis en travaillant sur le projet, je me suis dit que le spectacle était en quelque sorte UN mémoire de l’Olympia, et enfin, mon personnage transmet SA mémoire de l’Olympia à la servante* qu’il construit tout au long de la pièce. J’ai donc rajouté un « s » entre parenthèse pour donner en même temps tous ces sens au mot « mémoire ».

*Dans un théâtre, la servante est une simple ampoule sur un pied, que l’on pose sur scène lorsque le public quitte la salle afin qu’elle ne soit jamais dans le noir. On prête à cet objet de nombreuses vertus symboliques : veille sur le théâtre vide, conserve l’âme et l’histoire du lieu, chasse les mauvais fantômes…

4- J.D. Que représente pour vous cette salle mythique ?

T.C. Un rêve de gosse, un but.

Lorsque j’étais enfant, près de Marseille, en famille, nous regardions les émissions de variétés à la télévision. Maritie et Gilbert Carpentier, Guy Lux, Michel Drucker… Ayant chanté sur scène pour la première fois à l’âge de 6 ans, j’ai grandi avec cette passion chevillée au corps. Dans ces émissions, ces chanteurs que j’admirais tant disaient régulièrement : « J’ai fait mon Olympia le mois dernier », « Je vais faire mon Olympia le mois prochain »… oui, ils disaient: « LE Palais des Congrès », « LE Zénith », « UNE tournée », mais « MON Olympia ». J’ai donc senti ce lien spécial entre la salle et les artistes. De ce fait, naturellement, faire un jour MON Olympia, a été un objectif évident.

Mon personnage est l’agent d’entretien du bâtiment et l’action se déroule dans son atelier, quelque part dans le sous-sol. De ce fait, lorsque j’incarne Stanislas et que je raconte et chante le mythe, je fais un peu MON Olympia… à ma manière.

5- J.D. Quand on réfléchit à un spectacle musical autour de l’Olympia, y a-t-il des interprètes qui sont obligés d’être là ?

T.C. Oui, trois en particulier : Gilbert Bécaud qui détient le record avec 33 passages. Il était dans la première partie de la soirée d’ouverture, le 5 février 1954. La tête d’affiche était l’orchestre d’Aimé Barelli et son épouse Lucienne Delyle qui chantait « Mon amant de Saint-Jean ».  C’est l’année d’après, lors de son premier passage en vedette, que le public en liesse a cassé des fauteuils. Avant Elvis Presley, les Beatles ou Johnny Hallyday. Eh oui, Gilbert Bécaud était la première rockstar mondiale.

Edith Piaf qui, bien que très affaiblie par la maladie, a répondu présente à l’appel au secours de son grand ami Bruno Coquatrix pour sauver l’Olympia de la faillite en 1961. Un contrat d’un mois et demi est signé, mais, aidée par un défilé d’infirmières qui lui administraient piqûres et pilules, elle triomphe durant 4 mois, remplissant ainsi les caisses de l’Olympia.

Et Jacques Brel qui, un 1er novembre 1966, faisait ses adieux à la scène à l’Olympia. A la différence de beaucoup d’artistes qui ont fait leurs adieux, puis leur grand retour quelques mois plus tard, Le Grand Jacques n’est jamais revenu à la scène. Tout le monde le savait, ce qui a provoqué la soirée la plus émouvante de l’histoire du Music-Hall.

6- J.D. Autour de ces grands noms que sont Edith Piaf ou Gilbert Bécaud vous rendez hommage également à des moins grands ?

T.C. Effectivement, car l’Olympia avait aussi pour vocation de faire éclore des nouveaux talents. Parfois cela fonctionnait, parfois pas. Bruno Coquatrix et Jean-Michel Boris géraient le lieu de manière quasi artisanale. Ils marchaient souvent au coup de cœur. Lorsqu’ils croyaient en un artiste, ils le programmaient dans la première partie de la tête d’affiche. Parfois, ils pouvaient même mettre la salle à disposition un soir de relâche pour un spectacle en vedette. Ainsi, l’Olympia fit éclore de nombreux artistes qui sont devenus de grandes vedettes, voire des stars.

Par exemple, Jacques Brel a débuté en chantant 3 chansons dans la première partie de Philippe Clay, qui était une star de l’époque. Le pauvre Clay a eu du mal à s’en remettre. Plusieurs chansons après le début de son tour de chant, le public réclamait toujours Brel. Ça annonçait certainement quelque chose…

Dans le spectacle, j’aborde Gérard Berliner, Jean-Michel Caradec et Allain Leprest pour lesquels j’interprète une chanson en entier, alors que pour les « Monstres sacrés » je chante des medleys.

7- J.D. Qu’ils soient grands ou moins les avez-vous redécouverts ?

T.C. Oui, j’ai beaucoup appris en me plongeant dans leurs carrières. J’ai redécouvert des chansons que je n’avais pas entendues depuis très longtemps et découvert d’autres que je ne connaissais pas. C’est souvent dans les chansons moins connues d’un répertoire qu’on entre un peu plus dans l’intimité de l’interprète. J’ai également écouté beaucoup d’interviews. J’avoue, par exemple, que je ne connaissais Allain Leprest que de nom. Je me suis donc plongé dans son répertoire et j’ai découvert une œuvre, qui, selon moi est majeure dans la chanson française, mais malheureusement pas connue du grand public à sa juste valeur.

8- J.D. Comment s’articulait un spectacle à l’époque ?

T.C. La forme moderne d’un spectacle est: une tête d’affiche qui se produit entre 2h et 2h30, et parfois une première partie entre 20 et 30 minutes. Cette forme date du milieu des années 70. Avant cette période, beaucoup plus d’artistes se succédaient sur scène et le spectacle était pluridisciplinaire. Pour la partie musicale il y avait d’abord un « levé de rideau », ou « levé de torchon », pour 1 ou 2 chansons. On appelait le deuxième intervenant : « vedette anglaise », qui interprétait 2 ou 3 chansons. Puis, avant la tête d’affiche, la « vedette américaine » qui était un chanteur ou une chanteuse qui commençait à se faire connaître dans les médias et qui chantait 5 ou 6 chansons. C’était aussi l’occasion de tester les coups de cœur pour ensuite les programmer en vedette… ou pas !

On intégrait parfois un « supplément au programme ».

La tête d’affiche intervenait 45 à 50 minutes et un excellent orchestre « maison » assurait l’accompagnement.

Michel Jonasz est passé par toutes les étapes.

Entre ces prestations musicales venaient s’intercaler des numéros visuels : jongleurs, magiciens, fakirs, marionnettistes, acrobates, dresseurs d’animaux… Les numéros venaient du monde entier, ce qui impliquait parfois des situations rocambolesques. Comme par exemple, un numéro d’éléphants de mer, qui jonglaient admirablement bien, mais pour donner le meilleur d’eux-mêmes, nécessitaient une grande quantité de récompenses sous forme de sardines. Ce qui occasionnait une forte odeur de marée dans l’Olympia.

Il y a eu aussi un duo de fakirs qui faisait appel à un volontaire dans le public. Ce dernier devait lancer une fléchette dans le dos d’un artiste. Un soir, le spectateur, paralysé de trac ne parvient pas à lancer la fléchette avec suffisamment de force et celle-ci tombe. Le second fakir, contrarié, ramasse la fléchette et montre l’exemple. Lui, avec un peu trop d’énergie, la fléchette s’enfonçant jusqu’aux plumes. Résultat : un poumon perforé !!

Un présentateur, ou une présentatrice assurait le lien entre tous ces numéros et permettait au public de patienter pendant les changements de plateau.

C’était le Music-Hall !

9- J.D. Pour un artiste est ce une étape obligatoire dans sa carrière ?

T.C. Selon moi, oui. Et encore aujourd’hui.

10- J.D. Bien plus qu’un simple spectacle sur l’Olympia, « Mémoire(s) de l’Olympia » rend hommage à une certaine chanson française presque révolue ?

T.C. Je ne crois pas que cette époque soit totalement révolue. Les codes changent, la technologie évolue, mais dans le fond, ces artistes ont influencé les artistes d’aujourd’hui, et ces derniers influencent ceux de demain. Il y a justement quelques minutes, j’ai suivi un reportage sur Taylor Swift. A la fin, des jeunes fans témoignaient que grâce à elle, ils avaient choisi la voie de la musique. Les Beatles ont puisé leurs influences chez Bob Dylan ou Chuck Berry avant de trouver leur propre son et révolutionner la pop mondiale.  J’ai entendu plusieurs fois Julien Clerc clamer son admiration pour Gilbert Bécaud. Certes, les artistes disparaissent, mais le souvenir et les influences demeurent. On joue toujours des pièces de Sacha Guitry, Georges Feydeau, Edmond Rostand ou Molière. Certains sont éphémères, mais le génie est intemporel et indélébile.

11- J.D. Selon vous, y a-t-il un hériter au 28 boulevard des Capucines, et pourquoi ?

T.C. Pour qu’il y ait héritage, il faudrait qu’il y ait disparition. Or l’Olympia est toujours bien là. Même si la gestion de la programmation a changé pour s’adapter à l’air du temps, le mythe reste présent. Les artistes qui s’y produisent encore aujourd’hui, toutes générations confondues, ressentent toujours cette émotion particulière qu’ils n’ont pas ailleurs. N’ayant jamais eu mon nom en lettres rouges, je ne suis peut-être pas le plus légitime pour répondre à cette question, mais en tant que passionné, selon moi, l’Olympia est un lieu unique de par son histoire.

12- J.D. En vous remerciant, quel artiste représente le mieux cet état d’esprit qu’à été l’Olympia ?

T.C. Merci à vous, mais je ne pense pas que l’Olympia puisse être réduit à un seul artiste. Ce sont tous ces moments que j’évoque dans le spectacle, et bien d’autres, qui ont fait son mythe, sa singularité et sa longévité. Comme un pan d’histoire, chaque artiste a posé son empreinte sous l’œil bienveillant de Bruno Coquatrix et Jean-Michel Boris, et la servante a fait le reste… (vous comprendrez mieux cette phrase en venant voir le spectacle !)

Propos rapporté par Jean Davy, le 19 juin 2025 pour clicinfospectacles