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Watine interview

1-J.D. Watine bonjour et bienvenue sur Clicinfospectacles.fr, vous êtes à la fois autrice, chanteuse, compositrice, entre autres, comment devons-nous vous présenter à nos lecteurs ?

Watine . Depuis 20 ans, et 16 albums à ce jour, oui, on peut dire musicienne, autrice compositrice, chanteuse, mais peut-être aussi poète philosophe, à la lumière de mon expérience. Après avoir embrassé le monde dans tous les sens du terme (40 ans de voyage pour écrire des livres sur les pays étrangers puis organisation de voyages hors-normes pour des sociétés qui souhaitaient convier leurs prescripteurs, ou leurs distributeurs ou forces de vente…), et être toujours prête à apprendre de la vie, l’expérience s’est enrichie forcément et a servi de terreau à mes pensées et mon envie de témoigner de mon ressenti.

2-J.D. Votre dernier album « N’être qu’humaine » vient de sortir, pourquoi ce titre ?

Watine. Peut-être parce qu’il montre dans toutes les aventures humaines que l’on peut traverser, nos envies profondes de bonheur, nos regrets, nos espoirs d’un monde différent, malgré les remparts que l’on érige, malgré nos peurs et nos incompréhensions. Ce nom m’est venu très rapidement.
IL y avait eu Daft Punk et son album studio : Human after all (nous sommes humains après tout !). J’avais pensé aussi au titre « Traces Paradoxales » mais celui retenu me semblait plus puissant, et surtout plus vrai. N’être qu’humaine, c’est vivre au travers de son corps, de son âme et son cœur, accepter de ne pas être parfaite, et d’avoir des excès tout comme des failles, traverser des épreuves et malgré tout, ressentir le besoin d’exister, garder profondément en soi le désir d’aimer et d’être aimé. Chaque titre de cet album est un temps de vie, sans être autobiographique pour autant. 

3-D. Quelle en a été l’origine ? Qu’est-ce qui vous a interpellé pour son écriture ?

Watine. L’album commence (« « La Force de la vie » ») et se termine (« Il me raconte ») par 2 titres que j’ai écrit après le décès de mon mari, et celui accidentel de mon fils. Après ces 2 terribles épreuves, J’ai éprouvé le besoin de passer des heures au piano, et de laisser couler ma profonde mélancolie, malgré toujours une envie très forte d’exister. Les phrases se sont posées naturellement, avec pudeur, car ce n’est pas facile… et j’ai souvent employé des métaphores. Une fois ces 2 titres en cours, j’ai eu le sentiment qu’il fallait que je prolonge ce nouveau projet en parlant de tout ce qui me touche profondément, la nature, la mer, le temps, les sentiments, une certaine vision du monde et comment nous pouvons arrêter de le maltraiter (« Il pleut Albert ») et de nous maltraiter (« Pourquoi les bars »), apprendre à aimer inconditionnellement (« Nous voulons des anges » ou « « J’erre sur cette terre »)

4-D. Avec 9 titres diriez-vous que c’est la continuité non pas de « Cinétique Géostationnaire » de 2023/24 mais des deux titres de « Géométries sous cutanée » de 2019 ?

Watine. Oui sans aucun doute, les 2 titres de Géométries sous-cutanées, dans lesquels j’ai posé des textes où je questionne … beaucoup sur notre présence sur terre, avec beaucoup de jeux de mots et de références littéraires (par exemple dans le titre « Jetlag » « Et moi je me demande quel est le courant que l’on dépense… A la salle des ventes, montent les enchères, la vie m’échappe mais la vie m’est chère … Dans une espèce de huis clos à la Dolto, Je me dis que non l’enfer ce n’est pas les autres, Certes Sartre disait le contraire, mais il avait beau voir, et il ne voyait qu’elle» (référence à Simone de Beauvoir)
C’est à nouveau le cas avec ce nouvel album N’ETRE QU’HUMAINE.
Dans le titre « Les risques de la nuit » j’écris en faisant référence à des titres de livres : Je ne suis qu’un bûcher pour tes vanités, une écume des jours journellement quittée… tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin je me casse…
Alors oui, on peut parler de continuité dans la façon d’écrire, dans ma façon de penser l’interprétation, tantôt parlée, tantôt chantée. Mais également dans l’importance des sons que j’inclus dans mes arrangements sous le piano et que l’on ne devine pas forcément. Je peux citer quelques sons que j’ai enregistré chez moi par exemple :  un pot de confiture que je fais rouler, une batterie avec mes ongles sur le bar, un couvercle qui saute sur une marmite bouillante, mais aussi mes essuie-glaces, la pluie, des pas sur le gravier, des mâts de bateaux qui claquent… sans oublier les cordes que j’adore, violoncelle et violon.
Dans les chroniques sur l’album, ressortent souvent la part donnée aux textes et la force qui en émane. Je peux citer 2 extraits de presse :
– le miracle causé par la poésie, la force de textes et d’une interprétation qui bouleversent et mettent à genoux. On entre dans N’être qu’humaine par une chanson sublime, la Force de la Vie, qui rappelle dans ses arrangements certaines séquences de la Belle et la Bête par Philip Glass.  Watine évoque ses disparus, étalant sa mélancolie sur la grève, avant de s’abandonner au rêve crépusculaire. Il pleut Albert est une étrange adresse à Albert (Einstein) qui s’inquiète de la désagrégation du monde, de la fonte des glaces et de la pollution. L’alliance de la poésie et de l’engagement écologique est remarquable. Le morceau a un petit côté désuet mais une grâce infinie. La poésie là encore s’affiche avec une vraie force et une dignité qui situent Watine et l’exercice à mille lieues du tout venant de la variété française.
(SUN BURNS OUT)
Je retrouve du Brel dans la qualité des textes (« Dessine-moi la Mer »), un découpage parfois proche de celui de Dominique A (« À ma fenêtre, je vois la mer… tume, tu me fais rentrer dans les rangs …cune »), la tendresse du méconnu Maurice Fanon… Les textes jolis fomentent les épousailles de Tristesse et d’Humour, « comme un antidote à notre peur ». Les rimes et la scansion parlée, chantée lorsqu’il le faut, donnent toute leur force à ces textes, sans refrains, finement tricotés (« Les Risques de la Nuit » et ses multiples références). Le cri dont il est question (« Nous voulons des Anges ») a été gainé de tendresse, comme si Catherine se cajolait elle-même, ronronnait pour soigner les blessures. (OSBSKURE MAG)

-5  J.D. Vous naviguez entre poésie et chants, c’est presque une invitation à l’introspection que vous proposez ?

Watine.  Oui, on peut dire que c’est un album plutôt introspectif, où mes émotions laissent deviner une mélancolie profonde mais toujours pleine d’espoir. Par moments, je récite également, ce qui laisse une porte ouverte à l’oralité de la poésie. Le chant devient confidence, la voix peut se casser ou partir sur une note très haute (dans « Pourquoi les Bars » par exemple le dernier mot de cette phrase que je projette à plus d’une octave au-dessus : et je ne nomme pas les doutes qui m’assaillent, quand je vois de ma vie, le vernis qui s’écaille). J’aime la langue française, j’aime les rimes, j’aime les jeux de mot, j’aime écrire (un recueil de poésies est peut-être en cours d’édition). Ce nouvel album en français est arrivé au bon moment.

-6 J.D. Extrêmement intimiste, cette mise à nue était-elle nécessaire pour vous à ce moment-là de votre carrière ?

Watine. Comment peut-on savoir ce qui nous est nécessaire ? Je ne calcule jamais rien, j’avance à l’instinct. Je sais simplement que je vais me mettre au piano souvent, que j’improvise tout le temps, et que par moments, certaines mélodies et développements me semblent suffisamment intéressants pour que je les mette de côté et ensuite leur mettre des paroles (ou pas) C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’avais refusé de signer avec une major tout au début de ce que vous appelez « ma carrière » (un mot qui m’est étranger car j’ai commencé à l’âge où d’autres pensent à organiser leur prochaine retraite). C’est aussi pour cela que j’ai touché à tout, pop anglaise, pop cinématographique, folk en collaboration (album THIS QUIET DUST), rock et punk rock en collaboration (albums PHOS) avec entretemps, un premier album en français (ATALAYE) puis la trilogie instrumentale devenue quadrilogie, et dernièrement, un album à part majoritairement au piano avec des sons de Field recording (album SHORT SERIES OF ARRANGED PIANO).
On dit que nécessité fait loi, alors sans doute j’avais une très forte envie de produire de la musique mais tout autant d’écrire des textes porteurs de sens. J’adore me mettre face à la mer avec un cahier et un stylo, le « beau » et la force de la vie appellent de forts ressentis que j’aime écrire. Dans ce sens-là, oui sans doute, cela m’était nécessaire de faire un point sur ma vie en quelque sorte, mais aussi cette forme de naïveté à vouloir toujours croire en l’amour.

-7- J.D. Dans la profondeur de vos textes comme dans l’écriture, vous êtes comparée à Léo Ferré, quels seraient selon vous vos points communs ?
Watine. Je me permets de reprendre un extrait d’une chronique qui parle de ce cousinage avec Léo Ferré : « La voix, pour une raison qu’on ignore, nous rappelle l’intensité et la scansion de Léo Ferré. Rapprocher les deux pourrait paraître un non-sens mais il n’est pas certain qu’on ait depuis la disparition de Léo Ferré ressenti en français un tel niveau de concentration poétique et émotionnel dans un morceau, dans une phrase, dans un souffle. »
Plusieurs autres personnes m’ont également parlé de cette sensation qu’ils avaient à l’écoute de mes chansons. J’ai vu écrit aussi : « FERRÉ au féminin et WATINE au masculin. »
Je pense qu’il y a 1 ou 2 titres, dont « Dessine-moi la mer » qui peut faire penser à Ferré… et à sa chanson « Avec le temps »
Dans ce titre, je chante « Dessine-moi la mer et les cimes de verdure qu’on décime sans savoir que çà sert à toucher le soleil. Dessine-moi la terre et les rayons de lune qui épèlent l’univers en lettres majuscules. » et plus loin la référence à Ferré s’accentue : Le temps ce n’est pas le fait du hasard s’il se présente en permanence dans son infernale cadence, on lui demande des contre-temps, on s’en sert avec prudence. Le temps c’est bien notre chance d‘être conscient, d’être vivant et l’on se rend compte finalement que l’on ne peut rien faire sans le temps.
C’est peut-être aussi l’expérience de la vie, et une forme de sagesse qui nous force à nous questionner sur notre passage sur terre et ce que nous lui laissons en héritage.

-8- J.D. Quel rapport avez-vous avec la poésie et plus largement avec les mots ?
Watine. Comme Mr Jourdain disait : je fais de la prose sans le savoir » », je crois que je fais de la poésie sans le vouloir. Une façon esthétique sans doute de poser les mots pour que cela sonne non seulement joliment, mais aussi et surtout que cela fasse sens, et donne peut-être l’envie d’un questionnement.
La mélancolie est présente, dans les paroles, les mélodies, les arrangements qui propulsent des bribes d’un quotidien passé mais qui ne se résout pas à disparaître. Et puis l’avenir est là, plombant au lieu de nous élever, nous les Humains (« Il me raconte », tentative pour transmuter ce plomb en or).
J’aime les mots, j’aime les inviter dans des phrases inattendues, j’aime me relire quand je sens que j’ai écrit quelque chose d’important, je ressens un véritable plaisir à l’écriture ; autant qu’à me mettre au piano pour improviser. Ce sont deux plaisirs immenses pour moi, mais je ne songe pas toujours à écrire des chansons, loin de là. Par moments, sur une mélodie, j’ai une phrase qui vient, un paysage dans la tête, et je peux alors avoir envie de prendre mon crayon, ou aller voir mes écrits déjà consignés… et trouver exactement ce qui peut faire se rejoindre l’un et l’autre. J’ai des amis écrivains poètes et je suis heureuse de pouvoir les lire et acheter leurs livres, quand leur écriture me surprend.

-9- J.D. Depuis « Géométrie Sous-Cutanées » vous explorez aussi la musique instrumentale avec votre trilogie, peut-on dire la même chose qu’avec des mots ?
Watine. Je ne m’étais jamais posé la question, je vous l’avoue. Je pense que la musique touche plus profondément l’âme que les mots. C’est sans doute dû au fait que la musique entre dans nos oreilles sans avoir à fournir un effort. Nous sommes entourés de sons (ce que les gens appellent des bruits) et nous ne les entendons pas. Mais si nous mettons un casque aux oreilles, alors on peut tout distinguer. C’est un peu ce que j’ai cherché à faire avec les albums instrumentaux. J’ai voulu reproduire, cette sorte d’humus, de parterre bruissant que nous n’écoutons pas d’ordinaire. J’aime quand les gens me disent qu’ils sont partis marcher en forêt avec mon disque aux oreilles. J’introduis sous mon piano, comme je le disais plus haut, plein de sons que j’ai enregistré dans la nature avec mon iPhone. Ensuite bien sûr, je les retravaille en studio. Mais j’ai vraiment découvert avec ce travail instrumental, une sorte de sérénité et un ancrage plus important avec la nature. Alors que pour les mots, c’est une acquisition, un langage de communication auquel je dois faire beaucoup plus attention, et même si j’écris souvent spontanément, je cherche toujours et avant tout, que le sens jaillisse fortement et qu’il y ait une adhésion immédiate.

Propos rapporté par Jean Davy, le 19 septembre 2025, pour clicinfospectacles.
Crédit photo: Valérie BILLARD